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Quelle nuit longue, lugubre et fatigante, sans boire, sans manger, sans repos, éclairés seulement par les incendies allumés tout autour de nous ; les quelques officiers qui nous conduisaient paraissaient anxieux.

Enfin le lundi à midi, sur la place de Bioulx, la harangue d’un major d’artillerie nous dit la situation qu’il résume en ces mots : « Il faut enfoncer l’ennemi ou se rendre. » Nous partons afin d’essayer de faire une trouée, mais sans chefs, le désordre est indescriptible, la plupart des hommes cherchent à fuir ou se désarment en attendant l’arrivée des Prussiens. Ce manque de chefs et de discipline fut notre perte. Après une tentative où les officiers purent se rendre compte de l’inutilité de nos efforts, nous nous rendions, livrant à nos ennemis quelques milliers d’hommes de troupes fraîches et un butin de guerre très important.

Il y avait au tableau une ombre noire : de nombreux morts qui s’étaient sacrifiés inutilement. Si peu que j’ai vu du champ de bataille, j’en garderai un souvenir ineffaçable.

Que de malheureux sont là couchés, que d’horribles blessures, que de cris, que de plaintes, que de gémissements, que de râles j’ai entendus. En ai-je vu de ces cadavres belges, français ou prussiens dont le sang bronzait l’herbe tendre et féconde de notre terre natale. Oh ! tous ces corps, crispés et exsangues qui jonchent le sol ou reposent au fond d’un fossé boueux, corps