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La porte fut ouverte aisément. Elle entra, suivie de ses complices. Un vestibule dallé les conduisit au seuil de la chambre à coucher, dont elle poussa la porte avec une lenteur infinie.

C’était le moment décisif. Si l’attention de Raoul n’avait pas été mise en éveil, s’il dormait encore, le plan de Joséphine Balsamo se trouvait réalisé. Elle écouta. Rien ne bougeait.

Alors elle s’effaça pour livrer passage aux cinq hommes, et, d’un coup, lâcha sa meute, en lançant sur le lit, le jet d’une lampe de poche.

L’assaut fut si rapide que le dormeur ne dut se réveiller que lorsque toute résistance était vaine.

Les hommes l’avaient roulé dans ses couvertures et rabattaient sur lui les deux côtés du matelas, formant comme un long paquet de linge qu’ils ficelèrent en un tournemain. La scène ne dura certes pas une minute. Il n’y eut pas un cri. Aucun meuble n’avait été dérangé.

Une fois de plus la Cagliostro triomphait.

— Bien, dit-elle, avec un émoi qui décelait l’importance qu’elle attachait à ce triomphe… Bien… Nous le tenons… et cette fois toutes les précautions seront prises.

— Que devrons-nous faire ? demanda Léonard.

— Qu’on le porte sur le bateau.

— S’il appelle au secours ?

— Un bâillon. Mais il se taira… Allez.

Léonard s’approcha d’elle, tandis que ses acolytes chargeaient le captif.

— Tu ne viens donc pas avec nous ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Je te l’ai dit, j’attends Dominique.

Elle ralluma la lampe et enleva l’abat-jour.

— Comme tu es pâle ! lui dit Léonard à voix basse.

— Peut-être, fit-elle.

— C’est à cause de la petite, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Dominique agit en ce moment ?

— Oui.

— Qui sait ! il serait encore temps d’empêcher…

— Même s’il en était encore temps, dit-elle, ma volonté ne changerait pas. Ce qui doit être sera. D’ailleurs, c’est chose faite. Va-t’en.

— Pourquoi nous en aller avant toi ?

— Le seul péril vient de Raoul. Une fois Raoul en sûreté, dans le bateau, plus rien à craindre. File, et laisse-moi.

Elle leur ouvrit la fenêtre, qu’ils enjambèrent et par laquelle ils passèrent le prisonnier.

Elle attira les volets, puis ferma la fenêtre.

Après un instant, l’église sonna. Elle compta les onze coups. Au onzième, elle gagna l’autre façade sur le verger, et prêta l’oreille. Il y eut un léger sifflement, à quoi elle répondit en tapant du pied sur la dalle du vestibule.

Dominique accourut. Ils rentrèrent dans la chambre, et, tout de suite, avant même qu’elle eût posé la question redoutable, il murmura :

— C’est fait.

— Ah ! dit-elle faiblement, si troublée qu’elle chancela et s’assit.

Ils se turent longtemps. Dominique reprit :

— Elle n’a pas souffert.

— Elle n’a pas souffert ? répéta-t-elle.

— Non, elle dormait.

— Et tu es bien sûr ?…

— Qu’elle est morte ? Parbleu ! J’ai frappé au cœur, à trois reprises. Ensuite j’ai eu le courage de rester… pour voir… Mais ce n’était pas la peine… elle ne respirait plus… les mains devenaient toutes froides.

— Et si on s’en aperçoit ?

— Pas possible. On n’entre dans sa chambre qu’au matin. Alors, seulement… on verra.

Ils n’osaient pas se regarder. Dominique tendit la main. De son corsage, elle sortit dix billets de banque qu’elle lui remit.

— Merci, dit-il. Mais ce serait à recommencer que je refuserais. Que dois-je faire ?

— T’en aller. En courant, tu rattraperas les autres avant qu’ils aient rejoint la barque.

— Ils sont avec Raoul d’Andrésy ?

— Oui.

— Tant mieux, il m’en a donné du mal, celui-là, depuis quinze jours Il se défiait.