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menaçaient surmontant sa lassitude et sa peur, la jeune fille avait dû se poster aux environs du vieux phare et attendre la nuit.

Et maintenant, elle tentait l’impossible pour sauver celui qui l’avait trahie si cruellement.

Elle fit trois pas. Nouveau réveil de Léonard qui, heureusement, lui tournait le dos. Elle s’arrêta, puis reprit sa marche dès qu’il se rendormit. Ainsi parvint-elle à son côté.

Le poignard de Joséphine Balsamo se trouvait sur la chaise. Elle l’y prit. Allait-elle frapper ?

Raoul s’effraya. Le visage de la jeune fille, mieux éclairé, lui semblait contracté par une volonté farouche. Mais, leurs regards s’étant rencontrés, elle subit les ordres silencieux qu’il lui imposait, et elle ne frappa point. Raoul se pencha un peu pour que la corde qui le reliait à la chaise se détendît. Beaumagnan l’imita.

Alors, lentement, sans trembler, soulevant la corde avec une main, elle y entra le fil de la lame.

La chance voulut que l’ennemi ne se réveillât pas. Clarisse l’eût tué infailliblement. Sans le quitter des yeux, obstinée dans sa menace de mort, elle se baissa jusqu’à Raoul, et, à tâtons, chercha ses liens. Les poignets furent délivrés.

Il souffla :

— Donne-moi le couteau.

Elle obéit. Mais une main fut plus rapide que celle de Raoul. Beaumagnan qui, lui aussi de son côté, patiemment, depuis des heures, avait attaqué ses cordes, saisit l’arme au passage.

Furieux, Raoul lui empoigna le bras. Si Beaumagnan achevait de se délier avant lui et prenait la fuite, Raoul perdait tout espoir de conquérir le trésor. La lutte fut acharnée, lutte immobile, où chacun employait toute sa force en se disant qu’au moindre bruit Léonard se réveillerait.

Clarisse, qui tremblait de peur, se mit à genoux, autant pour les supplier tous deux, que pour ne pas tomber à terre.

Mais la blessure de Beaumagnan, si légère qu’elle fût, ne lui permit pas de résister aussi longtemps. Il lâcha prise.

À ce moment, Léonard remua la tête, ouvrit un œil, et regarda le tableau qui s’offrait à lui, les deux hommes à moitié dressés, rapprochés l’un de l’autre et en posture de combat, et Clarisse d’Étigues à genoux.

Cela dura quelques secondes, quelques secondes effroyables, car il n’y avait point de doute que Léonard, voyant cette scène, n’abattît ses ennemis à coups de revolver. Mais il ne la vit pas. Son regard, fixé sur eux, ne parvint pas à les voir. La paupière se referma sans que la conscience pût s’éveiller.

Alors Raoul coupa ses derniers liens. Debout, le poignard à la main, il était libre. Il chuchota, pendant que Clarisse se relevait :

— Va… Sauve-toi…

— Non, fit-elle, d’un signe de tête.

Et elle lui montra Beaumagnan, comme si elle n’eût pas consenti à laisser derrière elle, exposé à la vengeance de Léonard, cet autre captif.

Raoul insista. Elle fut inébranlable.

De guerre lasse, il tendit le couteau à son adversaire.

— Elle a raison, souffla-t-il… Soyons beau joueur. Tiens, débrouille-toi… Et désormais, chacun son jeu, hein ?

Il suivit Clarisse. L’un après l’autre, ils enjambèrent la fenêtre. Une fois dans le clos, elle lui prit la main et le conduisit jusqu’au mur, à un endroit où le faîte étant démoli, il y avait une brèche.

Aidée par lui, Clarisse passa.

Mais, quand il eut franchi le mur, il ne vit plus personne.

— Clarisse, appela-t-il, où êtes-vous donc ?

Une nuit sans étoiles pesait sur les bois. Ayant écouté, il entendit une course légère parmi les fourrés voisins. Il y pénétra, heurta des branches et des ronces qui lui barrèrent la route, et dut revenir au sentier.

— Elle me fuit, pensa-t-il. Prisonnier, elle risque tout pour me délivrer. Libre, elle ne consent plus à me voir. Ma trahison, la monstrueuse Joséphine Balsamo, l’abominable aventure, tout cela lui fait horreur.

Mais, comme il regagnait son point de départ, quelqu’un dégringola du mur qu’il avait franchi. C’était Beaumagnan qui s’enfuyait à son tour. Et tout de suite des coups de feu jaillirent qui venaient de la même direction. Raoul n’eut que le temps de se mettre à l’abri. Léonard, perché sur la brèche, tirait dans les ténèbres.

Ainsi, à onze heures du soir environ, les trois adversaires s’élançaient en même temps vers la pierre de la Reine, située à onze lieues de distance. Quels étaient leurs moyens individuels d’y parvenir ? Tout dépendait de cela.