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petite, et ma vengeance n’est que différée. »

— Sur le souvenir de ta mère, n’est-ce pas ? dit-elle.

— Sur le souvenir de ma mère, sur tout ce qui me reste d’honneur et de propreté, je ferai pour toi toute la lumière.

— Soit, accepta-t-elle. Mais Clarisse et toi, vous n’échangerez pas un seul mot à part.

— Pas un seul mot. D’ailleurs, je n’ai rien de secret à lui dire. Qu’elle soit libre, je n’ai pas d’autre but.

Elle ordonna :

— Léonard, laisse la petite. Quant à lui, détache-le.

Léonard eut un air de désapprobation. Mais il était trop asservi pour regimber. Il s’éloigna de Clarisse, puis il acheva de couper les liens qui retenaient encore Raoul.

L’attitude de Raoul ne fut pas du tout conforme à la gravité des circonstances. Il se déraidit les jambes, fit faire deux à trois exercices à ses bras, et respira profondément.

— Ouf ! J’aime mieux ça ! Je n’ai aucune vocation pour jouer les captifs. Délivrer les bons et punir les méchants, voilà ce qui m’intéresse. Tremble, Léonard.

Il s’approcha de Clarisse et lui dit :

— Je vous demande pardon de tout ce qui vient de se passer. Cela ne se représentera plus jamais, soyez-en sûre. Désormais, vous êtes sous ma protection. Êtes-vous de force à partir ?

— Oui… oui… dit-elle. Mais vous ?

— Oh ! moi, je ne cours aucun risque. L’essentiel, c’est votre salut. Or, j’ai peur que vous ne puissiez pas marcher longtemps.

— Je n’ai pas à marcher longtemps. Hier mon père m’a conduite chez une de mes amies où il doit me reprendre demain.

— Près d’ici ?

— Oui.

— N’en dites pas davantage, Clarisse. Tout renseignement se retournerait contre vous.

Il la mena jusqu’à la porte et fit signe à Léonard d’aller ouvrir le cadenas de la barrière. Quand Léonard eut obéi, il reprit :

— Soyez prudente et ne craignez rien, absolument rien, ni pour vous ni pour moi. Nous nous retrouverons lorsque l’heure aura sonné, et elle ne tardera pas à sonner, quels que soient les obstacles qui nous séparent.

Il referma la porte derrière elle. Clarisse était sauvée.

Alors il eut l’aplomb de dire :

— Quelle adorable créature !

Par la suite, quand Arsène Lupin racontait cet épisode de sa grande aventure avec Joséphine Balsamo, il ne pouvait s’empêcher de rire :

— Eh ! oui. Je ris comme je riais à ce moment-là, et je me souviens que, pour la première fois, j’exécutai sur place un de ces petits entrechats qui me servirent bien souvent depuis à illustrer mes victoires les plus difficiles… et celle-ci l’était bigrement, difficile.

» En vérité, j’exultais. Clarisse libre, tout me semblait fini. J’allumai une cigarette, et comme Joséphine Balsamo se plantait devant moi pour me rappeler notre pacte, j’eus l’incorrection de lui souffler ma fumée en plein visage.

» — Voyou ! mâchonna-t-elle.

» L’épithète que je lui relançai comme une balle fut tout simplement ignoble. Mon excuse, c’est que j’y mis beaucoup plus d’espièglerie que de grossièreté. Et puis… et puis… ai-je besoin d’excuse ? Ai-je besoin d’analyser les sentiments excessifs et contradictoires que m’inspira cette femme ? Je ne me pique pas de faire de la psychologie à son propos, et de m’être conduit comme un gentleman avec elle. Je l’aimais et je la détestais férocement à la fois. Mais depuis qu’elle s’était attaquée à Clarisse, mon dégoût et mon mépris n’avaient plus de limites. Je ne voyais même plus le masque admirable de sa beauté, mais ce qui était en dessous, et c’est à la sorte de bête carnassière, qui m’apparut soudain, que je jetai en pirouettant une abominable injure. »

Arsène Lupin pouvait rire, après. Tout de même l’instant fut tragique, et il s’en fallut sans doute de peu que la Cagliostro ou Léonard ne l’abattissent d’un coup de feu.

Elle fit entre ses dents :

— Ah ! comme je te hais !

— Pas plus que moi, ricana-t-il.

— Et tu sais que ce n’est pas fini entre Clarisse et Joséphine Balsamo ?

— Pas plus qu’entre Clarisse et Raoul d’Andrésy, dit-il, indomptable.

— Gredin ! murmura-t-elle… tu mériterais…

— Une balle de revolver… Impossible, ma chérie !

— Ne me défie pas trop, Raoul !

— Impossible, te dis-je. Je suis sacré pour toi, actuellement. Je suis le monsieur qui représente un milliard. Supprime-moi, et le milliard passe sous ton joli nez, ô fille de Cagliostro ! C’est dire à quel point tu me respectes ! Chaque cellule de mon cerveau correspond à une pierre précieuse…