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— Non, dit Raoul. Il faut encore l’interpréter. Le sens même de la formule est caché sous un voile dont il faut d’abord s’affranchir.

— Et tu as pu, toi ?…

— Oui, j’avais déjà certaines idées à ce propos. Tout à coup la vérité m’a illuminé.

Elle savait que Raoul n’était pas homme à plaisanter en pareille occurrence.

— Explique-toi, dit-elle, et Clarisse s’en ira d’ici.

— Qu’elle s’en aille d’abord, répliqua-t-il, et je m’expliquerai. Je m’expliquerai, bien entendu, non pas la corde au cou et les mains liées, mais librement, sans la moindre entrave.

— C’est absurde. Tu retournes la situation. Je suis maîtresse absolue des événements.

— Plus maintenant, affirma-t-il. Tu dépends de moi. C’est à moi de dicter mes conditions.

Elle haussa les épaules et, cependant, ne put s’empêcher de dire :

— Jure que tu parles selon l’exacte vérité. Jure-le sur la tombe de ta mère.

Il prononça posément :

— Sur la tombe de ma mère, je te jure que vingt minutes après que Clarisse aura franchi ce seuil, je t’indiquerai l’endroit précis où se trouve la borne, c’est-à-dire où se trouvent les richesses accumulées par les moines des abbayes de France.

Elle voulut s’affranchir de la fascination incroyable que Raoul exerçait tout à coup sur elle avec son offre fabuleuse, et, s’insurgeant :

— Non, non, c’est un piège… tu ne sais rien…

— Non seulement je sais, dit-il, mais je ne suis pas seul à savoir.

— Qui encore ?

— Beaumagnan et le baron.

— Impossible !

— Réfléchis. Beaumagnan était avant-hier à la Haie d’Étigues. Pourquoi ? Parce que le baron a recouvré le coffret et qu’ils étudient ensemble l’inscription. Or, s’il n’y a pas que les cinq mots révélés par le cardinal, s’il y a le mot, le mot magique qui les résume et qui donne la clef du mystère, ils l’ont vu, eux, et ils savent.

— Que m’importe ! fit-elle, en observant Beaumagnan, je le tiens, lui.

— Mais tu ne tiens pas Godefroy d’Étigues, et peut-être, à l’heure actuelle est-il là-bas, avec son cousin, tous deux envoyés d’avance par Beaumagnan pour explorer les lieux et préparer l’enlèvement du coffre-fort. Comprends-tu le danger ? Comprends-tu qu’une minute perdue, c’est toute la partie que tu perds ?

Elle s’obstina rageusement.

— Je la gagne si Clarisse parle.

— Elle ne parlera pas pour cette bonne raison qu’elle n’en sait pas davantage.

— Soit, mais alors parle, toi, puisque tu as eu l’imprudence de me faire un tel aveu. Pourquoi la délivrer ? Pourquoi t’obéir ? Tant que Clarisse est entre les mains de Léonard, je n’ai qu’à vouloir pour t’arracher ce que tu sais.

Il hocha la tête.

— Non, dit-il, le danger est écarté, l’orage est loin. Peut-être, en effet, n’aurais-tu qu’à vouloir, mais justement tu ne peux plus vouloir cela. Tu n’en as plus la force.

Et c’était vrai, Raoul en avait la conviction. Dure, cruelle, « infernale », comme disait Beaumagnan, mais tout de même femme et sujette à des défaillances nerveuses, la Cagliostro faisait le mal par crise plutôt que par volonté — crise de démence où il y avait de l’hystérie et que suivait une sorte de lassitude, de courbature aussi bien morale que physique. Raoul ne doutait pas qu’elle n’en fût là, en cet instant.

— Allons, Joséphine Balsamo, dit-il, sois logique avec toi-même. Tu as joué ta vie sur cette carte : la conquête de richesses illimitées. Veux-tu renier tous tes efforts au moment où je te les offre, ces richesses ?

La résistance faiblissait. Joséphine Balsamo objecta :

— Je me méfie de toi.

— Ce n’est pas vrai. Tu sais parfaitement que je tiendrai mes promesses. Si tu hésites… Mais tu n’hésites pas. Au fond de toi, ta décision est prise, et c’est la bonne.

Elle demeura songeuse une ou deux minutes, puis elle eut un geste qui signifiait : « Après tout, je la retrouverai, la