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mon aide. Il est des choses qu’une femme ne peut pas accomplir seule. Par le simple fait que vous poursuivez le même but que ces hommes, et que vous êtes en guerre avec eux, ils ont réussi à monter contre vous le complot le plus ignoble. Ils vous ont accusée de telle sorte, et avec des arguments si solides en apparence, qu’un moment j’ai vu en vous la sorcière et la criminelle que Beaumagnan accablait de sa haine et de son mépris.

» Ne m’en veuillez pas. Dès que vous leur avez tenu tête, j’ai compris mon erreur. Beaumagnan et ses complices ne furent plus en face de vous que des bourreaux odieux et lâches. Vous les dominiez de toute votre dignité et, aujourd’hui, il ne reste plus trace dans mon souvenir de toutes leurs calomnies. Mais il faut accepter que je vous aide. Si je vous ai froissée en vous disant mon amour, il n’en sera plus question. Je ne demande rien que de me dévouer à vous, comme on se consacre à ce qui est très beau et très pur. »

Elle céda. Le bourg de Doudeville fut dépassé. Un peu plus loin, sur la route d’Yvetot, la voiture s’engagea dans une cour de ferme bordée de hêtres et plantée de pommiers, et s’y arrêta.

— Descendons, dit la comtesse. Cette cour appartient à une brave femme, la mère Vasseur, dont l’auberge est à quelque distance et que j’ai eue comme cuisinière. Je viens parfois me reposer chez elle deux ou trois jours. Nous y déjeunerons… Léonard, on part dans une heure.

Ils reprirent la grand-route. Elle avançait d’un pas léger, semblable au pas d’une toute jeune fille. Elle portait une robe grise qui lui serrait la taille, et un chapeau mauve à brides de velours et à bouquets de violettes. Raoul d’Andrésy marchait un peu en arrière pour ne pas la quitter des yeux.

Après le premier tournant s’élevait une petite bâtisse blanche, coiffée d’un toit de chaume, et précédée d’un jardin de curé où les fleurs foisonnaient. On entrait de plain-pied dans une salle de café qui occupait toute la façade.

— Une voix d’homme, observa Raoul, en montrant une des portes qui marquaient le mur du fond.

— C’est précisément la pièce où elle me sert à déjeuner. Elle s’y trouve sans doute avec quelques paysans.

Elle n’avait pas achevé que cette porte s’ouvrit et qu’une femme assez âgée, ceinte d’un tablier de cotonnade et chaussée de sabots, apparut.

À la vue de Joséphine Balsamo, elle sembla bouleversée, et ferma la porte derrière elle, en bégayant de façon incompréhensible.

— Qu’y a-t-il ? demanda Joséphine Balsamo d’une voix inquiète.

La mère Vasseur tomba assise et balbutia :

— Allez-vous-en… sauvez-vous… vite…

— Mais pourquoi ? parlez donc ! expliquez-vous…

On entendit ces quelques mots :

— La police… on vous cherche… On a fouillé la chambre où j’ai mis vos malles… On attend les gendarmes… Sauvez-vous donc, ou vous êtes perdue.

À son tour, la comtesse chancela et fut prise d’une défaillance qui la contraignit à s’appuyer contre un buffet. Ses yeux rencontrèrent ceux de Raoul et le supplièrent, comme si elle se sentait perdue, en effet, et qu’elle implorât son secours.

Il était confondu. Il prononça :

— Que vous importent les gendarmes ? Ce n’est pas vous qu’ils cherchent… Alors ?

— Si, si, c’est elle, répéta la mère Vasseur… on la cherche… sauvez-la.

Très pâle, sans apercevoir encore la signification exacte d’une scène dont il devinait la gravité tragique, il saisit le bras de la comtesse, l’entraîna vers la sortie, et la poussa dehors.

Mais, ayant franchi le seuil la première, elle recula avec effroi et murmura :

— Les gendarmes !… ils m’ont vue !…

Tous deux rentrèrent en hâte. La mère Vasseur tremblait de tous ses membres et chuchotait stupidement :

— Les gendarmes… la police…

— Silence, fit à voix basse Raoul qui demeurait fort calme. Silence ! je réponds de tout. Combien sont-ils de la police ?

— Deux.

— Et deux gendarmes. Donc rien à faire par la force, on est cerné. Où se trouvent les malles qu’ils ont visitées ?

— Au-dessus.

— Et l’escalier qui conduit au-dessus ?

— Ici.

— Bien. Restez là, vous, et tâchez de ne pas vous trahir. Encore une fois, je réponds de tout !

Il reprit la main de la comtesse et se dirigea vers la porte désignée. L’escalier était une sorte d’échelle de perroquet qui conduisait à une chambre mansardée où l’on avait répandu toutes les robes et tout le linge que pouvaient contenir des malles, Quand ils y parvinrent, les deux policiers rentraient dans le café, et lorsque Raoul, à pas sourds, se fut approché de la fenêtre pratiquée au milieu du chaume, il avisa les deux gendarmes qui descendaient de cheval et attachaient leurs montures aux piliers du jardin.