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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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lement, la lettre H. Enfin, ayant découvert le mot Harmingeat, accompagné du chiffre 63, il se reporta à la page 63, et lut :

« Harmingeat, 49, rue Chalgrin. »

Suivait le détail de travaux exécutés pour ce client en vue de l’établissement d’un calorifère dans son immeuble. Et, en marge, cette note « Voir le dossier M. B. »

« Eh ! je le sais bien, dit-il, le dossier M. B., c’est celui qu’il me faut. Par lui, je saurai le domicile actuel de M. Lupin. »

Ce n’est qu’au matin que, sur la deuxième moitié d’un registre, il découvrit le fameux dossier.

Il comportait quinze pages. L’une reproduisait la page consacrée à M. Harmingeat de la rue Chalgrin. Une autre détaillait les travaux exécutés par M. Vatinel, propriétaire, 25, rue Clapeyron. Une autre était réservée au baron d’Hautrec, 134, avenue Henri-Martin ; une autre, au château de Crozon et les onze autres à différents propriétaires de Paris.

Sholmès copia cette liste de onze noms et de onze adresses ; puis il remit les choses en place, ouvrit une fenêtre et sauta sur la place déserte, en ayant soin de repousser les volets.

Dans sa chambre d’hôtel, il alluma sa pipe avec la gravité qu’il apportait à cet acte, et, entouré de nuages de fumée, il étudia les conclusions que l’on pouvait tirer du dossier M. B., ou, pour mieux dire, du dossier Maxime Bermond, alias Arsène Lupin.

À huit heures, il envoyait à Ganimard ce pneumatique :

« Je passerai sans doute, ce matin, rue Pergolèse, et vous confierai une personne dont la capture est de la plus haute importance. En tout cas, soyez chez vous cette nuit, et demain mercredi jusqu’à midi, et arrangez-vous pour avoir une trentaine d’hommes à votre disposition… »

Puis il choisit, sur le boulevard, un fiacre automobile, dont le chauffeur lui plut par sa bonne figure réjouie et peu intelligente, et se fit conduire sur la place Malesherbes, cinquante pas plus loin que l’hôtel Destange.

« Mon garçon, fermez votre voiture, dit-il au mécanicien ; relevez le col de votre fourrure, car le vent est froid, et attendez patiemment. Dans une heure et demie, vous mettrez votre moteur en marche. Dès que je reviendrai, en route pour la rue Pergolèse. »

Au moment de franchir le seuil de l’hôtel, il eut une dernière hésitation. N’était-ce pas une faute de s’occuper ainsi de la Dame blonde, tandis que Lupin achevait ses préparatifs de départ ? Et n’aurait-il pas mieux fait, à l’aide de la liste des immeubles, de chercher tout d’abord le domicile de son adversaire ?

« Bah ! se dit-il, quand la Dame blonde sera ma prisonnière, je serai maître de la situation. »

Et il sonna.

M. Destange se trouvait déjà dans la bibliothèque. Ils travaillèrent un moment, et Sholmès cherchait un prétexte pour monter jusqu’à la chambre de Clotilde, lorsque la jeune fille entra, dit bonjour à son père, s’assit dans le petit salon et se mit à écrire.

De sa place, Sholmès la voyait, penchée sur la table, et qui, de temps à autre, méditait la plume en l’air et le visage pensif. Il attendit, puis, prenant un volume, il dit à M. Destange :

« Voici justement un livre que Mlle Destange m’a prié de lui apporter dès que je mettrais la main dessus. »

Il se rendit dans le petit salon et se posta devant Clotilde, de façon à ce que son père ne pût l’apercevoir, et il prononça : « Je suis M. Stickmann, le nouveau secrétaire de M. Destange.

— Ah ! fit-elle sans se déranger. Mon père a donc changé de secrétaire ?

— Oui, Mademoiselle, et je désirerais vous parler.

— Veuillez vous asseoir, monsieur, j’ai fini. »

Elle ajouta quelques mots à sa lettre, la signa, cacheta l’enveloppe, repoussa ses papiers, appuya sur la sonnerie d’un téléphone, obtint la communication avec sa couturière, pria celle-ci de hâter l’achèvement de son manteau de voyage, dont elle avait un besoin urgent, et, enfin, se tournant vers Sholmès :

« Je suis à vous, Monsieur. Mais notre conversation ne peut-elle avoir lieu devant mon père.

— Non, mademoiselle, et je vous supplierai même de ne pas hausser la voix. Il est préférable que M. Destange ne nous entende point.

— Pour qui est-ce préférable ?

— Pour vous, Mademoiselle !

— Je n’admets pas de conversation que mon père ne puisse entendre.

— Il faut pourtant bien que vous admettiez celle-ci. »

Ils se levèrent l’un et l’autre, les yeux croisés.

Et elle dit :

« Parlez, monsieur. »

Toujours debout, il commença :

« Vous me pardonnerez si je me trompe sur certains points secondaires. Ce que je garantis, c’est l’exactitude générale des incidents que j’expose.