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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

— Oui, l’inventeur de ce même Chasse-Torpille.

— C’est impossible !

— Non… les preuves s’accumulent. Donc, Lebon m’ayant volé les plans, devis et modèles que j’avais acquis de lui, vous comprenez de suite l’impossibilité où je suis de discuter avec vous, pour le moment du moins, la transaction que vous me proposiez tout à l’heure.

— Mais ce Lebon va certainement être repincé, lui ou ses complices, sinon tous à la fois, fit Benjamin avec espoir. Quatre hommes ne disparaissent pas ainsi de la circulation comme dans un rêve.

— Certes, nous les retrouverons, car nous avons le signalement des trois individus qui ont aidé à l’évasion de Lebon.

Ces paroles amenèrent un imperceptible sourire sur les lèvres rouges et humides de Benjamin. Et pour comprimer un nouvel accès de toux, le jeune homme porta son mouchoir à sa bouche.

— Ah ! vilaine toux… murmura-t-il. Et il ajouta en regardant James Conrad :

— Je souhaite que vous rattrapiez ce misérable. Toutefois, je dois vous avouer que cette affaire me contrarie fort.

— J’en suis fâché, dit Conrad, qui n’était pas moins contrarié que son visiteur.

— Ainsi vous n’avez aucune idée de ce que sont devenus ces plans et ce modèle ?

— Aucune. Lebon, adroitement interrogé avant son évasion, n’a laissé soupçonner aucune piste. Du reste, il se proclame innocent.

— Naturellement, vous n’admettez pas son innocence.

— Non, puisque tout nous prouve que Lebon et son amante ont été les auteurs principaux du vol.

L’arrivée de Mme Conrad et de sa fille mit fin à l’entretien. James Conrad présenta son visiteur qui, devant les deux femmes, exécuta la plus gracieuse révérence.

Puis, l’ingénieur ayant consulté l’heure, déclara qu’il n’avait que le temps de se rendre à Montréal pour l’affaire qui l’appelait ce soir-là, ajoutant :

— Si vous le permettez, monsieur Benjamin, je vous laisserai avec Miss Ethel,

— Si mademoiselle le veut bien, répliqua Benjamin avec un sourire engageant, ce sera un grand plaisir pour moi tout en m’évitant la solitude d’une longue soirée d’hôtel.

La jeune fille sourit et s’inclina avec grâce.

— En ce cas, reprit Conrad, laissez-moi vous dire bonsoir et vous prier de vouloir bien nous honorer encore de votre visite durant votre séjour à Montréal.

— Je m’en ferai un plaisir, cher Monsieur, et tout l’honneur sera pour moi.


IV

LES GALANTERIES DE BENJAMIN


Sur un divan du salon Ethel Conrad et le pseudo-banquier de Chicago avaient pris place.

Mme Conrad s’était discrètement retirée, et les deux jeunes gens demeuraient seuls… seuls et silencieux.

Ethel, émue, un peu gênée, les regards abaissés, tripotait du bout de ses doigts mignons un ruban de sa robe. Quant au jeune homme, à demi tourné vers la jeune fille, il tenait sur elle ses yeux noirs pétillants de malice, pendant que ses lèvres rouges ébauchaient un petit sourire. Et ce sourire, pour un observateur qui eût été moins impressionné que la fille de l’ingénieur, ce sourire de Benjamin, disons-nous, avait quelque chose de moqueur.

Et maintenant, intimidée par ce silence troublant et surtout par le feu des regards qu’elle devinait attachés sur elle, la jeune fille rougissait…

Mais Benjamin comprit bien vite le malaise d’Ethel, et il rompit le silence :

— Pardonnez-moi, mademoiselle, mon attitude quelque peu discourtoise. Mais c’est plus fort que moi… je vous trouve… ravissante !

— Vraiment ? sourit Ethel en relevant sur le jeune homme ses yeux bleu-de-ciel.

— Je vous trouve très jolie et charmante… répéta le pseudo-banquier avec son même sourire un peu moqueur.

— Vous me dites cela d’un ton et d’un air qui me font penser que vous ne dites pas très vrai, c’est-à-dire que vous ne pensez pas ce que vous dites.

— Sans doute, il vous appartient de penser ce que bon vous semblera ; mais moi, de mon côté, il m’est bien permis de dire ce que je pense.

— Dire toute sa pensée n’est pas toujours de bon aloi !

— Quand il s’agit de choses, n’est-ce pas, comme je vous en dis depuis un moment, moi qui vous suis étranger ? C’est vrai que cela pourrait ou peut n’être pas de bon aloi, et la chose pourrait être pire encore, mais seulement si j’avais affaire à une jeune fille moins intelligente…

— Encore ? sourit Ethel, très flattée au fond de ces compliments répétés.

— Oui… encore ! Et votre exquise personne exhale non seulement l’intelligence et le charme, mais aussi la bonté et la générosité.

— Vous me gênez, monsieur.

— Intelligence, charme, générosité… les trois qualités cardinales qui font la femme accomplie !

— Vous devenez flatteur !

— Dieu m’en garde ! Tenez, vous me faites précisément penser à une petite histoire, une anecdote que me racontait, un jour, un peintre de mes amis. Benjamin s’interrompit sous la violence d’un accès de toux.

— Pardon ! s’excusa-t-il un moment après, un mauvais rhume…

— Il faut le soigner, conseilla Ethel avec un tendre intérêt.

— Merci, je suivrai votre conseil dès demain. Ah !… je reviens à mon anecdote. Vous permettez ?

— Oui, oui… vous m’intéressez vivement.

— Merci encore. Ce peintre de mes amis, donc, avait exposé un premier tableau à la National Gallery à New York. Il avait peu d’espoir com-