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dont s’étaient gorgés les nouveaux maîtres, avait échauffé leurs têtes et irrité leur férocité naturelle. Je craignais à chaque instant de voir quelque prisonnier, victime et de la cruauté et de l’ivresse, massacré sous mes yeux, tomber mort à mes pieds ; de sorte que j’osais à peine lever la tête, de peur de rencontrer les regards de quelqu’un de ces malheureux. Il me fallût bientôt être témoin d’un spectacle tout autrement horrible que ce que j’avais vu jusques-là.

Ma tente avait été placée au milieu du camp des Outaouacks. Le premier objet qui se présenta à mes yeux, en y arrivant, fut un grand feu ; et des broches de bois plantées à terre désignaient un festin. C’en était un. Mais ô Ciel ! quel festin ! Les restes d’un cadavre anglais, écorché et décharné plus d’à moitié. J’aperçus un moment après, ces inhumains mangeant, avec une famélique avidité, de cette chair humaine ; je les vis puiser à grandes cuiller leur détestable bouillon, et ne pouvoir s’en rassasier. On m’y apprit qu’ils s’étaient disposés à ce régal, en buvant à pleins crânes le sang humain ; leurs visages encore barbouillés, et leurs lèvres teintes assuraient la vérité du rapport. Ce qu’il y a de plus triste, c’est qu’ils avaient placé tout auprès une dizaine d’anglais, pour être spectateurs de leur infame repas. L’Outaouaek approche de l’Abnakis ; je crus qu’en fesant à ces monstres d’inhumanité quelque douce représentation, je gagnerais quelque chose sur