Page:Le dictionnaire de l'Academie françoise, 1798 - T1, A-C.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée
PRÉLIMINAIRE. v


Un tel Dictionnaire , en effet , en même- temps qu’il devient un dépôt de tous les mois de la Langue , en fait la revue. Eu déterminant les acceptions cme l’usage le plus général leur a données , il prononce ou il indique le jugement qu’il faut porter de cet usage : il apprend à distinguer les cas où l’usage a eu raison , et les cas où il a eu tort. De tant de cas particuliers , où l’on voit la marche de l’usage , on ne tarde pas à remonter aux causes les plus générales qui tantôt ont égaré l’usage , et tantôt l’ont bien guidé. L’usage , qu’on a si souvent donné comme la seule Loi des Langues , verra donc lui - même les lois qui doivent le gouverner ; il ne pourra pas les voir si distinctement sans les suivre ; et tout un Peuple apprendra , dans un tel Dictionnaire , à fixer sa Langue sans la borner : à la fixer , dis - je , non dans des limites qu’on ne peut pas plus donner à la Langue d’un Peuple qu’à sa raison et à ses connoissances , mais dans les routes où elle pourra toujours s’avancer , en acquérant toujours de nouvelles richesses sans en perdre jamais aucune. L’influence , bien plus importante , d’un bon Dictionnaire sur la raison d’un Peuple, est, peut-être , plus facile encore à démontrer. C’est une vérité universellement reconnue aujourd’hui ; la cause la plus générale et la plus dangereuse de nos erreurs, de nos mauvais raisoimemens est dans l’abus continuel (pie nous faisons des mots. Cetabuslui-mêmeasacause, etcettecausen’estpassimple; il yena deux -. la première est dans l’indétermination où chacun de nous laisse les mots en parlant et en écrivant; nous les prenons et nous les donnons tantôt •dans un sens , tantôt dans un autre : la seconde est dans le défaut d’une détermination universellement convenue et connue. Chaque homme qui parle et qui écrit , peut remédier à la première ; et les grands Écrivains n’y manquent guère ; ils se font une Langue qui est à eux ; elle est exacte et claire dans les ouvrages philosophiques ; elle est exacte , claire et belle dans les ouvrages d’imagination : ils parlent toujours cette même Langue qu’ils se sont faite : c’est pour cela qu’ils sont de grands Écrivains. Mais , par la raison , précisément , que chacun d’eux se fait une Langue , les Langues que tous se font sont différentes ; et c’est à cette différence , qu’il faut attribuer très-souvent , celle des opinions qui les divisent : ils se croient séparés par des mondes ; ils ne le sont souvent que par un mot dont ils ne font pas le même emploi. Quand tous les grands Écrivains , par une espèce de traité secret et d’alliance très-naturelle entre le génie et le génie , s’accorderoient dans le même emploi des mots , ils sont en trop petit nombre ; et leur convention , très - propre à en préparer de plus étendues , seroit loin encore d’être une convention nationale. C’est pourtant cet accord, c’est cette convention de tous avec tous, qui est indispensable , pour qu’un Peuple s’entende toujours dans la circulation de ses mots et de ses idées ; pour que ce commerce de tous les esprits serve aux progrès et à la richesse de tous. 11 faut que chaque mot d’une Langue , en quelque sorte , soit frappé d’une empreinte particulière , qui marque son