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PREFACE.

tiere à quelques observations curieuses, et plus souvent encore à des disputes inutiles ; mais ils ne déterminent pas tousjours la veritable signification d’un mot, parce qu’elle ne despend que de l’usage. Rien n’est en effet plus commun que de voir des mots qui passent tout entiers d’une langue dans une autre, sans rien conserver de leur premiere signification : mais s’il n’est pas raisonnable de vouloir dans certains mots retenir les lettres que l’usage en a bannies, il l’est encore moins de vouloir en bannir par avance celles qu’il y tolere encore.

Tout ce que l’Académie a cru devoir faire au sujet des lettres, dont les unes se prononcent, les autres ne se prononcent pas, c’est que quand une lettre se prononce ordinairement dans les mots où elle se trouve, on a remarqué ceux où elle ne se prononce pas ; et au contraire, comme l’s ne se prononce pas dans le plus grand nombre des mots où elle est jointe avec un autre consonne, comme hospital ; on a marqué ceux où elle se prononce, comme hospitalité, et cela a paru plus convenable que d’entreprendre une reformation d’ortographe : car on auroit beau dire aux hommes qu’il leur sera plus commode de retrancher un grand nombre de lettres inutiles, et d’en substituer d’autres qui exprimeront plus exactement la prononciation, leurs yeux et leurs oreilles sont accoustumez à un certain arrangement de lettres, et à de certains sons attachez à cet arrangement. Il ne faut pas compter qu’une habitude de cette nature puisse se destruire par des raisonnemens ni par des methodes, et le peu de succès de toutes celles qu’on a proposées jusqu’à present ne doit pas donner envie d’en inventer de nouvelles.

Le plus seur est de s’en rapporter à l’usage, qui, à la vérité, ne connoist pas tousjours les methodes ni les regles ; mais qui n’est pas aussi tousjours si déraisonnable qu’on se l’imagine. Souvent l’ignorance et la corruption introduisent des manieres d’escrire ; mais souvent c’est la commodité qui les establit. L’usage n’est autre chose que le consentement tacite des hommes qui se trouvent determinez à une chose plustost qu’à une autre, par des causes souvent inconnuës, mais qui n’en sont pas moins réelles : ainsi quand les Romains ont cessé de prononcer fircus, pour dire un bouc, fœdus pour dire un chevreau, et qu’ils en ont fait hircus et hœdus ; comme de fazer et de fermosura, les Castillans ont fait hazer et hermosura, on ne peut pas douter qu’ils n’y aïent esté déterminez, quoique peut-estre sans s’en appercevoir, par la douceur et par la facilité de cette derniere prononciation. La mesme chose nous est arrivée, sans doute, à l’esgard de pourroient et de feroient, j’envoyerai, Laon, Paon, et de tant d’autres mots que nous avons cessé de prononcer comme les prononçoient nos peres, quoique nous les escrivions encore comme eux. Peut-estre ne seroit-il pas impossible de trouver aussi seurement la raison des changements qui arrivent tous les jours dans les Langues vivantes, soit par rapport à l’orthographe, ou à la maniere de prononcer ; soit mesme par rapport à la signification des mots ; mais ce seroit un travail inutile : et comme dit Quintilien, il y a des choses si frivoles dans certaines parties de la Grammaire, qu’un Grammairien sage doit se faire un merite de les ignorer.