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PREFACE.

noit moins à un Ouvrage de cette nature, que d’estre fait avec rapidité.

Si quelque chose peut contribuer à mettre un Dictionnaire dans toute la perfection dont il est susceptible, c’est d’y travailler avec cette lenteur tant recommandée par les Anciens ; lenteur qui n’esclud point la diligence, mais qui est absolument necessaire pour tout ce qui demande de l’exactitude & de la précision.

La premiere Edition avoit esté disposée par Racines, c’est-à-dire, en rangeant tous les mots derivez ou composez après les mots dont ils descendent ; mais cet ordre qui dans la speculation avoit esté jugé le plus instructif, s’est trouvé très incommode dans la pratique.

Il est aisé de se representer l’impatience d’un Lecteur, qui après avoir cherché un mot dont il a besoin, Absoudre par exemple, au commencement du premier Volume, où naturellement il doit estre, y trouve pour toute instruction qu’il faut aller à la fin du second Volume chercher le mot Soudre, dont il n’a pas besoin, mais qui est le primitif de celui qu’il cherche. Dans cette nouvelle Edition les mots ont esté rangez avec un très grand soin dans l’ordre de l’alphabet ; en sorte qu’il n’y en a point que l’on ne trouve d’abord, & sans aucune peine.

On a eu aussi une attention particuliere à expliquer, à déterminer, & à bien faire sentir la veritable signification de chaque mot par des Définitions exactes & par des Exemples : c’est-là peut-estre ce qu’il y a de plus important dans un Dictionnaire ; mais c’est aussi ce qu’il y a de plus difficile à bien executer.

En effet rien n’est plus penible que d’avoir à déterminer sur un mesme mot les idées diverses & souvent tout opposées, qu’il doit exciter en nous, suivant les differentes manieres dont il peut estre lié avec tous les autres mots de la mesme Langue.

Mais cette difficulté ne peut estre connuë, ni mesme sentie que par ceux qui se sont appliquez à la surmonter : on en jugera par cet exemple, Bon est un des mots les plus communs & les plus courts de nostre Langue ; il n’y a personne qui en l’entendant prononcer, ne s’imagine que c’est aussi le plus simple, & que l’on en penetre d’abord la signification dans toute son estenduë, sans qu’il soit besoin de le définir, ni mesme d’en donner des Exemples : mais si l’on consulte le Dictionnaire, on sera tout estonné de voir qu’il a soixante & quatorze significations toutes differentes : C’est un Eloge quand il est placé avec de certains mots, comme bon Homme, bon Mari, bon Peintre : c’est un terme de Dénigrement, quand il est joint avec d’autres, & quelquefois avec les mesmes, comme bon homme, bon idiot, bon badaut : c’en est un de mépris outré, & d’indignation très amere, lorsqu’on le joint avec d’autres, comme bon coquin, bon insolent, bon scelerat, & ainsi du reste : cependant il est certain qu’on ne peut pas se flater de sçavoir une Langue ni mesme de l’entendre passablement, si l’on n’est instruit de toutes ces differentes significations ; & il n’y a aucun Dictionnaire de Langues mortes ni de Langues vivantes, où ce détail si necessaire soit expliqué avec tant de soin & d’exactitude qu’il l’est dans celui-ci.