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table, que j’ai apportée avec moi, un peu obliquement contre l’échelle de fer. M’enveloppant autant que possible de vêtements imperméables, je commence à monter. Bientôt l’eau tombe sur moi avec une telle violence que j’ai toutes les peines du monde à résister. Je réussis cependant à donner un vigoureux coup de jarret qui fait terriblement craquer l’échelle, à sortir ma tête de ce flot dangereux et à gagner enfin, mais mouillé comme un rat, l’entrée de la grotte. Une large planche, amenée de l’intérieur par les eaux, me sert, au bout d’un quart d’heure, à détourner un peu le torrent, et à le faire passer en partie derrière l’échelle, permettant ainsi à Voisin de monter, avec le bagage, sans se faire mouiller. Nous nous rendons aussitôt dans la branche du midi, pour voir comment fonctionne la source en temps de grandes eaux.

Nous trouvons la galerie de la cascade complètement envahie par les eaux ; la cascade elle-même n’existe plus, elle est noyée, l’eau montant en effet jusqu’au point D (voir le plan) qui se trouve bien au-dessus de la partie supérieure de la cascade. La sortie de la rivière est trop petite, les fissures aussi. L’eau, s’accumulant, remplit tous les couloirs jusqu’en a, où elle déborde, passe dans la galerie de l’entrée, et vient tomber sur l’échelle. L’immense réservoir ainsi constitué met l’eau sous pression à sa sortie en S, et la fait jaillir avec une grande violence. Ces galeries se remplissent si vite, en temps de grandes eaux, qu’il est impossible qu’il n’y ait pas une communication directe entre le plateau et la galerie de la Cascade, par un entonnoir, un gouffre quelconque. L’infiltration seule est impuissante à donner un tel résultat.

La galerie nord ne déverse pas la moindre goutte d’eau. Dans la salle du Lac, et dans la galerie du Lac, le niveau de l’eau s’est sans doute beaucoup élevé, toutefois sans empêcher la circulation. À la salle de la Découverte, l’eau atteint environ 50 centimètres au-dessus de l’argile. Malgré notre grand désir de revoir le Catafalque, nous n’avons pas le courage de retourner chercher les échelles à l’entrée, et de nous plonger, par le froid qu’il fait, jusqu’aux côtes dans cette eau et cette argile glaciales. Nous décidons d’attendre l’été prochain, et de ne photographier, pour l’instant, que la galerie du Parasol. L’eau ruisselle de tous côtés avec abondance ; aussi, puisque le lac ne déborde pas, il faut certainement qu’il y ait, au fond, des fissures qui lui donnent passage, ce qui expliquerait encore l’origine des nombreuses sources qui jaillissent à cette hauteur dans l’hémicycle de Baume.

En résumé, nous voyons dans la grotte de Baume l’exemple d’une de ces magnifiques sources jurassiques pérennes ayant deux déversoirs, l’un pour les eaux ordinaires, l’autre pour les grandes eaux. Été comme hiver, l’eau est fournie par la branche du sud, qui est alimentée par un ou plusieurs gouffres, et très certainement par infiltrations, quoiqu’on ne puisse en juger de visu. La branche septentrionale ainsi que celle du nord-ouest, alimentées seulement par infiltration, ne fournissent de l’eau au Dard que par des sources secondaires qui jaillissent bien en aval de la caverne et dans le lit même de la rivière.

Attendons maintenant l’été de 1894 pour continuer ces travaux intéressants sur la grottologie du Jura, et terminons en souhaitant que ces lignes donnent envie au lecteur de visiter « un beau coin de la France ».


Edmond Renauld,
Ingénieur-chimiste.


BAS DE LA GRANDE CASCADE[1].
  1. Gravure de Bazin, d’après une photographie.