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nous montre le fond à 2 mètres seulement plus bas. Il y a, nous semble-t-il, un petit lac de peu de profondeur, dans lequel nous sommes forcés de poser notre échelle. En descendant, le pauvre Voisin, que la guigne semble poursuivre, embarrassé dans des cordages qu’il porte, manque de tomber à la renverse dans le lac, ce qui lui eût valu un bain dans de l’eau à 9 degrés. Nous franchissons le lac, large de quelques mètres. La galerie monte légèrement, et, au bout de 25 mètres environ, nous arrivons à un énorme rocher au-dessous duquel nous trouvons le vide complet. Le fond est à 10 mètres plus bas, et la descente est à pic. En bas, les stalactites sont en nombre, et la galerie, haute de 40 mètres, large de 6 mètres, paraît se prolonger au loin. Tout au fond on aperçoit une sorte d’arcade. Nous regardons nos montres : il y a déjà cinq heures que nous sommes sous terre ; il est midi, nous décidons de sortir pour reprendre quelques forces et de revenir à la charge l’après-midi.

Vers 3 heures, renforcés de MM. Favier et Camus, que nos récits ont éblouis, nous nous retrouvons en haut de la descente que nous n’avions fait qu’entrevoir le matin.

Pendant que j’organise le matériel, Pavie s’empare bravement d’une corde pour se faire descendre. Ici je lui laisse la plume pour raconter l’impression qu’il ressentit :

« Après m’avoir fait de sages recommandations, Renauld attache à une des ceintures dont nous sommes munis une extrémité d’un rouleau de corde de 25 mètres, dont il fixe l’autre bout à une énorme roche en pointe. Appuyant les pieds contre la paroi, je me laisse glisser lentement dans l’abîme, tandis que Renauld et nos compagnons lâchent la corde avec prudence. Pendant 4 mètres, aucune difficulté : la roche, quoique verticale, me permet de m’accrocher aux aspérités. Soudain mes pieds manquent d’appui, et je viens me heurter violemment la poitrine et les jambes contre le rocher, en même temps que mes mains se prennent entre la corde et la muraille. Pendant quelques secondes, étourdi par la douleur, je me demande si ma dernière heure n’a pas sonné. Criant aussitôt à Renauld de lâcher rapidement, je réussis, tout meurtri, à me dégager, et à prendre pied quelques mètres plus bas. Je me rends compte alors seulement de ce qui s’était passé. La roche fait un coude brusque, pour engendrer une sorte de grotte remplie de stalactites. C’est égal, nous ne redescendrons plus avec une seule corde ; c’est trop désagréable.

« M’avançant avec prudence, toujours vers le nord, de toutes parts je vois une foule de stalactites et de stalagmites. La galerie, longue de 40 mètres, présente à son extrémité une arcade sous laquelle je pénètre. Un spectacle éblouissant se présente à mes veux. Mille scintillements de paillettes cristallisées me font pousser des cris de joie : « Venez vite, mes amis ! criai-je, dépêchez-vous ! c’est splendide ! Bravo ! bravo ! » Ce disant, je retourne à l’endroit où j’ai quitté la corde, et je crie à Renauld et à nos compagnons en haut de leur observatoire de descendre les échelles. »

Excité au plus haut degré par les cris de joie de Pavie qui se promène en bas, en gesticulant avec sa bougie minuscule, je retourne rapidement, avec Voisin et Camus, chercher toutes les échelles. Au bout d’une demi-heure, l’échelle est prête, et nous la descendons avec précaution. Elle n’est pas tout à fait assez longue, car nous n’en avons mis que 8 mètres, et la descente a bien 10 mètres. Cela ne nous gêne guère, et nous voilà en quelques instants auprès de Pavie. Le magnésium nous laisse admirer une grandiose galerie haute de 50 mètres, large de 6 et longue de 40. Du côté de l’échelle descend une énorme roche, toute recouverte de carbonate de chaux, qui affecte la forme d’un immense dais tout ciselé. À la partie inférieure, de petites stalactites pendent au-dessus d’un trou profond plein d’eau, qui en temps de grandes eaux sert de déversoir à la salle. Quelques bougies brûlent encore en haut de l’échelle sur l’énorme rocher qui surplombe. C’est saisissant ! Nous portant vers l’autre extrémité de la galerie, nous voyons la voûte descendre brusquement de 40 mètres pour former une arcade, au-dessous de laquelle nous passons. De l’autre côté, un spectacle sublime nous attend : une salle plutôt petite que grande (9 mètres sur 13 mètres) ; sur le côté droit, un énorme bloc de calcaire s’est détaché du plafond, qui a repris sa hauteur de 50 mètres ; tout recouvert de cristaux de carbonate de chaux, il est d’une blancheur immaculée, et le magnésium le fait briller comme l’intérieur d’un diamant. Tout à côté, une autre roche beaucoup plus petite affecte la forme d’un superbe bouquet : « Le Catafalque ! » crions-nous ; et, nous précipitant à l’autre extrémité de la salle, nous trouvons deux énormes fentes opposées l’une à l’autre, en forme de fuseaux, d’où descendent en pente, de la voûte, deux masses splendides de carbonate cristallisé, semblables à deux petits glaciers. La muraille nord est couverte de stalactites découpées à jour. Le magnésium brûle de tous côtés et nous inonde de scintillements sans nombre. Tous, nous restons saisis devant un spectacle inoubliable. « Une salle de Dargilan ! » crions-nous tous en même temps ; et nous exécutons, sur l’argile et sur les rebords stalagmitiques des flaques d’eau, une ronde échevelée dont nous nous souviendrons toujours.

De l’autre côté des stalactites découpées à jour, nous trouvons une dernière petite salle, longue de 8 à 9 mètres, large de 2 mètres, haute de 5 à 6 mètres, dont le plafond est remarquable. La voûte est découpée en une infinité d’arêtes qui semblent avoir été taillées de main d’homme. Le magnésium fait ressortir de l’autre côté de la muraille, dans l’autre salle, les stalactites ajourées. C’est splendide ! Nous cherchons une issue de tous côtés, sans succès. Cette fois-ci c’est bien la fin, fin que nous ne regrettons pourtant ni les uns ni les autres, car nous avons été amplement payés de nos peines. J’achève aussitôt le plan. Nous sommes à 350 mètres, pas plus, de l’entrée, alors que Voisin était