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coreligionnaires, me charger d’un message pour Paris. La conversation a lieu en allemand. C’est grâce à la générosité du baron Hirsch qu’un grand nombre de juifs ont pu quitter la Russie pour venir s’établir en Sibérie. « Nous étions plus malheureux que des esclaves, dit-il, maintenant nous sommes relativement libres et tranquilles. C’est au baron Hirsch que nous le devons. Nous voudrions lui envoyer l’expression de notre gratitude, mais nous ne savons comment faire pour être certains qu’elle arrivera jusqu’à lui. » Il ajouta qu’ils ne demandaient plus rien, que leur vie était facile, et que le baron Hirsch devait consacrer ses libéralités à leurs malheureux frères, encore si nombreux en Russie.

UNE NIHILISTE CÉLÈBRE[1].

Cette démarche me toucha. Je lui promis de m’acquitter de grand cœur de cette commission que je considérais comme un devoir. À mon arrivée à Paris, j’obtins à grand’peine une audience du célèbre financier, qui me parut tant soit peu ému. On est si peu habitué à la reconnaissance, me dit-il, qu’on est toujours heureux de l’entendre exprimer. Je suis particulièrement sensible à la manière dont celle-ci m’est témoignée. »

Ma démarche toute désintéressée eût, peut-être, mérité une carte de visite, mais, comme me l’a dit lui-même le baron Hirsch, on est si peu habitué à la reconnaissance !

Le maître de poste de Stretinsk est à bord. Il me promet que je ne manquerai pas de chevaux jusqu’à Tchita. Il est arrivé, paraît-il, des ordres du gouverneur général. Voilà une bonne nouvelle. De son côté, le chef de la police, qu’un télégramme arrête en route pour un autre assassinat, vient me serrer la main. Il va télégraphier à l’ataman des Cosaques de Stretinsk de se mettre à ma disposition.

À midi nous sommes à Ouste-Karyiskaya.

La Chilka, basse comme elle est aujourd’hui, n’a pas plus de 100 mètres, mais à certain moment elle doit en avoir 300. Entre l’eau et le quai est une large grève à sec. Une longue jetée en bois, la plus longue depuis Nikolaïevsk, terminée par un arc de triomphe élevé en l’honneur du Tsarevitch, établit les communications avec la terre quand les eaux sont hautes. Elle est noire de monde et de monde élégant ; uniformes, robes de soie, ombrelles, témoignent de l’importance de la station.

Cependant les abords n’ont rien de bien somptueux, et je scandalise fortement le général et Mme Kapous-

  1. Gravure de Devos, d’après une photographie.