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en fera des radeaux. Souvent, sur le flanc des montagnes qui bordent la rivière, on voit de longues bandes dénudées, au milieu desquelles un sillon est creusé, depuis le bas jusqu’au sommet. C’est par ce sillon que l’on précipite les madriers coupés sur Les hauteurs, puis des traîneaux les transportent jusqu’aux villages où se forment les radeaux.

La table est trop petite pour nous contenir tous : nous sommes donc obligés de manger en deux fois. Le Sibérien se sert très peu de sa fourchette, c’est Le couteau qui joue ici le rôle prédominant. Il coupe la viande et sort de véhicule pour porter les aliments à la bouche. À cet effet, il est très large, peu tranchant, et arrondi du bout. La fourchette sert à placer sur l’extrémité du couteau les morceaux que l’on veut manger. L’impression que l’on éprouve à voir cela pour la première fois est désagréable. Pas de verre sur la table ; j’en demande un et une carafe. À peine ai-je fini de boire que mon verte est saisi, chacun se le passe à tour de rôle, s’en sert et finalement me le rend. Moi qui ne suis pas habitué à cette promiscuité, j’abandonne le verre au public, et quand j’ai soif, je me sers de ma tasse en cuir, que je remets immédiatement dans ma poche après chaque opération, car elle ferai également le tour de la table, et je n’y tiens pas. Cet ustensile, si simple et si commode en voyage, parait exciter l’admiration. Ma cuvette en caoutchouc n’a pas moins de succès. Sur la Zéa, pas de lavabo. On va à la pompe, on pompe d’une main, on se débarbouille de l’autre c’est simple, c’est pratique, peu coûteux. C’est de la civilisation à la Diogène.

CAMPEMENT D’OROTCHONES[1] (PAGE 262).

Parmi les Cosaques, j’en remarque un ou deux dont une seule oreille est percée et ornée d’une boucle. C’est une chose fort commune en Chine. A-t-elle dans les deux pays la même cause superstitieuse ? Pour la race jaune, les fils seuls comptent. Ce sont eux dont on remarque le plus la perte, et l’on s’imagine que les divinités infernales, partageant ce mépris des hommes pour la femme, sont plus acharnées contre les garçons que contre les filles. Cette boucle d’oreille a pour objet de les tromper sur le sexe de celui qui la porte.

À Outesnaya, premier péché capital, j’ai remarqué un certain nombre de pêcheurs à la ligne. Ils sont tous Chinois. Le Russe a l’air de dédaigner ce genre de distraction. Le Chinois, J’en suis sûr, pêche dans un but de spéculation : il n’y a pas pour lui de petit profit.

Trois nouveaux voyageurs montent : où va-t-on les mettre ? C’est le chef de la police de Stretinsk et deux médecins, arrivés ici par le dernier bateau pour faire une enquête sur un assassinat. Le chef de la police, apprenant de quelles recommandations je suis muni, se montre fort aimable. Il télégraphie à Stretinsk pour annoncer mon arrivée. Il se met du reste à ma disposition pour faciliter nos préparatifs de départ en tarantass. L’un des médecins parle un peu français ; il habite Nertchinsk.

Le temps est à la pluie. Je tremble pour les bagages, et je les fais recouvrir un peu par Hane. J’avais raison. Dans la nuit il tombe des torrents d’eau. Et ces pauvres Cosaques qui sont sur le pont, et ces malheureuses femmes avec leurs enfants ! L’une d’elles est à la porte de notre cabine, donnant le sein à son bébé. Je la fais entrer. Mais, le plancher étant couvert de passagers couchés par terre, elle s’assied sur les marches de l’escalier : à elle est au moins à l’abri de la pluie. Les dames ont également donné asile à une passagère et son enfant.

  1. Dessin de Riou, gravé par Privat.