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MONTAGNES FUMEUSES[1] (PAGE 260).

lesquelles nous voguons n’ont pas moins de 500 à 600 mètres d’altitude, d’après le capitaine. Dans certaines parties on voit également de très beaux rochers.

La profondeur moyenne en temps ordinaire est de 6 pieds, ce qui suffit amplement au Yermak ; mais pour le moment on se demande si à certains endroits nous trouverons les 2 pieds qui sont nécessaires à la Zéa.

Le trajet de Pakrovska à Stretinsk doit se faire normalement en deux jours et demi : aujourd’hui on nous parle de quatre ou cinq. Le capitaine nous menace même de la possibilité d’être abandonnés par lui sur la berge avec nos bagages. Il nous faudrait alors louer de petits bateaux qui nous conduiraient d’un village à l’autre, tirés à la cordelle par des chevaux. Nous haussons les épaules, et nous avons tort : quand on voyage en Sibérie, il faut s’attendre à tout.

Les sept premières stations sur la Chilka jouissent d’une réputation détestable : on les nomme les « sept péchés capitaux », parce qu’elles sont dénuées de ressources et que le passage en est très difficile. Mais en revanche comme elles sont jolies, pittoresques et sauvages ! Je vois paître dans les bois des chevaux de poste, de distance en distance, et des vaches. On a calomnié ces sept stations, j’en ai la preuve à la seconde.

Pendant qu’on embarque le bois, je me promène sur le bord de l’eau. Ma vue effraye une écrevisse, puis une seconde, puis une troisième. J’appelle Hane à la rescousse avec les filets à taons, et quand le sifflet nous rappelle à bord, nous avons une soixantaine de ces intéressants animaux dont nous n’avons pas mangé depuis 1883. Je les fais cuire à la cuisine dans de la vodka et mettre dans deux assiettes, dont une sera portée aux dames.

Elles sont fort bonnes, mes écrevisses ! Mais, à part Poutiatitski, personne ne veut y goûter. Quant aux dames, elles n’ont jamais reçu les leurs. Il s’est probablement trouvé un amateur peu galant à la cuisine.

De même que sur le grand fleuve, je vois installées des lignes à hameçons sans amorce, pour prendre des poissons d’une certaine taille.

Les arbres sont ici beaucoup plus beaux que sur l’Amour. On en voit de magnifiques. C’est, paraît-il, dans ces parages que l’on prend la plus grande partie du bois de construction employé même à Habarovka et Nikolaïevsk. De tous les côtés nous voyons les préparatifs pour la coupe prochaine. On a enlevé un anneau d’écorce d’à peu près 1 mètre à la base de tous les pins qui doivent être abattus cet hiver. La sève va s’écouler, ils se dessécheront au printemps ; on les abattra et l’on

  1. Dessin de Boudier, d’après une photographie.