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Elle reste toujours aussi vive cette lueur. On sent que le disque qui la produit ne s’est pas enfoncé bien profondément sous l’horizon. Je la suis des yeux pendant qu’elle décrit autour de nous sa demi-circonférence. Nous marchons vers l’ouest : elle était donc droit devant nous il y a deux heures. Il est minuit, elle est au nord, sur notre droite, donnant encore assez de lumière pour me permettre de lire. Dans peu d’instants elle sera derrière nous, mais elle aura changé de nom : elle s’appellera aube et non plus crépuscule.

SACRIFICE DE L’OURS[1] (PAGE 222).

14 juin. — À 2 heures nous sommes dans la baie de Castries. C’est une sorte de cirque à falaises élevées, couvertes d’arbres de moyenne grandeur. On ne voit aucune habitation. Seul, un phare d’importance ordinaire se dresse à l’entrée de la rade. Pourtant, derrière ces falaises, se trouve Alexandrevsk, station de poste et de télégraphe, d’où part le câble qui relie l’île de Saghaline au continent. Nous ne sommes, en ligne droite, qu’à une centaine de kilomètres de l’Amour.

C’est ici que nous devons prendre le pilote qui nous conduira à Nikolaïevsk. Mais celui-ci n’a pas l’air de vouloir se presser. Nous avons beau siffler et resiffler pour l’appeler, rien ne décèle à terre la présence d’êtres humains, rien ne bouge ; et si le phare n’était pas devant nos yeux, ce serait à croire que nous nous sommes trompés de mouillage.

Avant-hier la baie était très animée, Il n’y avait pas moins de quatre vapeurs à l’ancre. L’un d’eux, un navire de guerre, attendait la débâcle pour aller poser les nombreuses bouées sans lesquelles la barre de l’Amour serait impossible à franchir. Ces bouées sont relevées chaque année, au commencement de l’hiver. Enfin à 7 heures tout est en règle, et nous reprenons notre route vers le nord sous la conduite d’un pilote. Le nôtre, comme tous ses confrères, est un ancien quartier-maître de la marine de guerre russe, qui a passé des examens spéciaux et se montre très fier des fonctions officielles qu’il remplit. Il reçoit un traitement fixe du gouvernement, et régulièrement on ne lui doit rien, mais il est d’usage de le rémunérer de ses services, suivant le tonnage du navire

  1. Gravure de Berg, d’après des dessins japonais.