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est seul de son métier, à trois lieues à la ronde, pour vous écorcher vif ; sans parler des délais et de la crainte continuelle de rester en plant entre deux stations. Bref, il m’offre de télégraphier à son agent à Stretinsk de m’acheter le meilleur tarantass qu’il pourra se procurer d’ici un mois, sans fixer de prix. J’ai confiance, j’accepte, et je m’en suis bien souvent félicité dans la suite.

DAME CORÉENNE[1] (PAGE 194).

M. Cheveleff met son équipage à notre disposition pour visiter la ville, C’est la première fois que nous nous trouvons dans une voiture attelée à la russe, et cela nous intéresse.

Un cheval est dans les brancards : il ne doit jamais quitter le trot. Un autre qui marche de front avec lui et semble en liberté ne doit jamais quitter le galop. Il a la tête en dehors et au niveau de ses genoux. On dirait qu’il a pris le mors aux dents. Deux traits légers, attachés à l’essieu, et une courroie d’un mètre cinquante, fixée d’un côté au brancard et de l’autre à l’anneau de la bride, le maintiennent à côté de son compagnon.

Vladivostok ne gagne pas à être visité en détail. Les rues, qui ne sont qu’une succession de montées et de descentes, suivant le flanc de la montagne sans s’inquiéter des accidents de terrain, sont mal entretenues. Des flaques d’eau les émaillent, et la boue qui les environne indique que ces flaques sont là depuis longtemps. La voirie laisse beaucoup à désirer. Nulle part on ne s’est mis en frais d’architecture.

Les maisons sont disséminées, la plupart construites en bois et peintes des couleurs les plus variées. Les casernes sont en briques rouges, mais véritablement d’une trop grande simplicité. L’église avec ses clochetons ressemble à toutes les églises russes que nous avons vues ensuite. Aucune animation dans les rues.

Je ne puis m’empêcher de comparer Vladivostok à Hong-Kong, qui est également construit sur le flanc de la montagne, et j’ai le regret de constater que Vladivostok ne soutient pas la comparaison. Cette impression est conforme au témoignage même de hauts fonctionnaires russes qui donnent pour excuse la jeunesse relative de la ville. J’espère comme eux qu’ils sauront tirer parti, tant au point de vue du beau et du pittoresque qu’au point de vue militaire, de l’admirable situation qu’ils ont entre les mains. Mais ils ont beaucoup à faire : d’abord amener de l’eau en quantité suffisante pour la consommation ; puis surtout s’occuper des rues, qui sont dans un état d’abandon lamentable.

Un autre sujet de regrets pour nous est l’aspect de ces montagnes dénudées, autrefois couvertes d’arbres splendides que la prévoyance des chefs aurait dû disputer à la paresse des subordonnés. Il en est de même dans toute la Sibérie. Un village se fonde au milieu d’une forêt ; les habitants qui ont besoin de bois pour construire leurs maisons, pour se chauffer, abattent tout ce qui est sous leur main. Le déboisement fait la tache d’huile, et souvent on se demande comment les gens sont allés s’établir au milieu d’un désert. Le désert, c’est eux-mêmes qui l’ont fait. Il existe, au bord de la mer, un jardin public, dernier débris des antiques forêts, conservé maintenant avec un soin jaloux. C’est ce qu’il y a de plus beau dans Vladivostok, dont le nom veut dire « Souveraine de l’Orient » et dont on pourrait si facilement faire la « Perle de l’Orient ».

Près du quai, à côté du jardin, se dresse un arc de triomphe en l’honneur de la visite du Tsarevitch. Les habitants de Vladivostok en sont très fiers et le proclament le plus beau de tous ceux qui ont été élevés sur

  1. Gravure de Florian, d’après une photographie.