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— Non pas, fis-je, car tous les peuples civilisés l’emploient ; mais je trouve que, n’étant plus ici « de chambre », puisqu’il circule librement partout, ni « de nuit », car nous le rencontrons en plein soleil, il convient de l’appeler, vu ses fonctions multiples, « l’indispensable ».

Licencié. — Gravure de Krakow, d’après un dessin coréen.

Pendant que nous rhétoriquons ainsi, peu à peu la brume est venue, et chacun se hâte de regagner sa demeure, car il est interdit aux hommes, sous peine d’être arrêtés, de circuler dans les rues de la capitale à partir d’une certaine heure du soir. Sont seuls autorisés les grands personnages et les étrangers, qui n’abusent pas de la permission, vu le manque absolu d’éclairage de la ville, si mal entretenue que, même avec des lanternes, on risque cent fois de s’y rompre les os. Restent donc seuls dehors les agents de police, les aveugles ou quelques serviteurs des mandarins, chargés par ceux-ci de commissions urgentes, qu’ils justifient par un disque en bois dit « de circulation », sur lequel sont gravés au feu le nom du maître et sa situation. Ces précautions sont uniquement prises contre les voleurs. Pourtant, aussitôt qu’on rencontre une dame, on doit éviter de la regarder, en se tournant le visage du côté d’un mur. Les femmes ont seules la liberté de circuler dans la capitale après neuf heures du soir, et en profitent pour s’y promener et respirer à visage découvert, ce qui leur est interdit pendant le jour. Nous les laissons donc à leur heureuse liberté, pour rentrer à la Légation, où nous trouvons déjà en fonctions le veilleur de nuit. C’est un usage particulier à Séoul d’avoir dans toutes les maisons importantes un serviteur qui, tant que dure l’obscurité, circule à travers les cours et les jardins de l’immeuble. Il est armé d’un sabre quadrangulaire et d’une barre de fer de près de 2 mètres, au sommet de laquelle sont attachés des anneaux sonores qu’il doit agiter sans cesse pour prévenir les voleurs qu’on fait bonne garde.

J’apprends tous ces détails de mes aimables hôtes qui, chaque jour, non seulement m’aident de leurs conseils éclairés, mais encore prennent de tous côtés les renseignements nécessaires pour faciliter mon voyage à travers la Corée. Oh ! les bons, les excellents amis ! ils font tout pour moi et ne me permettent même pas de les remercier !

Les premiers froids commencent à se faire sentir, on m’assure qu’ils cesseront bientôt et que j’aurai ensuite près de deux mois de beau temps ; c’est juste suffisant. Je dois donc hâter mon départ, si enchanté que je sois de mon séjour à Séoul, dont j’ai pu étudier si agréablement la topographie, l’architecture, les productions diverses et les coutumes, tout en réunissant une collection ethnographique considérable. De tout cela il résulte pour nous que le Coréen, par son aspect physique, ses mœurs, ses habitudes, ses produits caractéristiques en tous genres, etc., diffère absolument de ses voisins ; à tel point que l’un d’eux, placé dans une foule chinoise ou japonaise, sera immédiatement reconnu. De même un Chinois ou un Japonais à Séoul se reconnaîtra immédiatement, par son costume, son facies, sa langue, etc. Cette opposition très tranchée, jointe à la diversité des types que nous rencontrons ici, augmente la difficulté de déterminer à quelle branche de la famille humaine nous devrons rattacher le Coréen. Nous essayerons pourtant de le faire en traversant le pays et en recueillant tous les documents relatifs à ce sujet. Mais quelle route prendre pour tâcher d’arriver à ce résultat ? En réalité rien de plus simple : étudions d’abord les principales voies qui ont été parcourues jusqu’à ce jour.

La route la plus anciennement connue est celle qui va par terre de Pékin à Séoul : un ambassadeur chinois en a fait la très intéressante description, récemment traduite par M. M-F. Scherzer, le regretté diplomate à qui l’avenir semblait promettre une si brillante carrière.

En voici l’itinéraire : on se rend de Pékin à Yong-Ping-fou, Ning-yan-tcheng, Cheng-king ou Moukden et Feung-hoang-tchang, ou, passant la palissade de l’Empire, on arrive bientôt à Itcheo pour entrer en Corée en traversant Ya-lou-kiang (en coréen Ap-Nok-kiang) et rejoindre de là Ngancho, Hoang-tcheo et Séoul.

La route qu’a suivie Hendrik Hamel de Gorcum vient ensuite. Il fait naufrage à Quelpaert en 1653. On le conduit par mer avec ses compagnons à Hai-nam et de là par terre près de Séoul, en passant par Riong-Om-Na-jiu, Tain-Chon-jiu, Kong-jiu, et enfin Kai-seng. Après de longues années d’esclavage, on traîne les survivants par une route presque parallèle, touchant également à Kai-seng, Kong-jiu, Chon-jiu, pour aller ensuite à Nam-on, d’où ils regagnent la mer. Une nuit ils peuvent s’enfuir en bateau jusqu’à l’île de Goto, et de là rejoindre Nagasaki.

Tel est le résumé de l’intéressant récit qu’a publié