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LE TOUR DU MONDE.

créer, sur le parcours de cette voie, une succession d’oasis bien arrosécs rendant la traversée aussi agréable que facile.

Je dois avouer humblement que cette idée de chemin de fer transsaharien n’avait point germé spontanément dans mon cerveau : elle m’avait été développée à Alger, ainsi qu’à M. Paul Solcillet ct à plusicurs autres, par l’honorable M. Juillet-Saint-Lager, officier supérieur en retraite ct homme de grand esprit, dont les salons étaient alors ouverts à tous ceux qui commençaient à s’occuper de la question saharienne au point de vue français. M. Juillet-Saint-Lager lavait lui-même trouvée et recueillie dans la préface de Ia Grammaire tamachek’, de M. le commandant Hanoteau ? , où elle est exposée tout au long à la page x ?,

ÎL’est juste que le mérite de ce projet grandiose soit reslitué à ses premiers auteurs, et si, comme il ça lieu de l’espérer, le chemin de fer transsaharien entre avant bien longtemps dans le domaine des faits accomplis, la postérité saura rendre à leur mémoire l’hommage qui leur est légitimement da.

Les premiers savants que j’entretins de fa possibilité d’établir un chemin de fer à travers le Sahara n’ayant tourné le. dos en levant les épaules, je crus sage de suivre le conseil de M. Hertz, le savant modeste et dévoué qui venait de fonder la Société de Géographie commerciale, Ce conseil était de réserver la question pour mon retour, lorsqu’un premier suecès m’aurait donné quelque autorité morale.

Grâce à M. Gustave Révilliod, de Genève, dont Fappui me fut toujours si précieux, je pus me présenter, à Paris, à plusieurs hommes éminents.

De son côté, M. Hertz me mit en rapport avec toutes les personnes que mes projets pouvaient intéresser. Les encouragements ne me mançquèrent pas, mais ce furent, hélas ! presque tous des encouragements platoniques. Bref, je recueillis, Dieu sait au prix de quelles peines, une misérable somme de sept mille quatre cent francs, dont la plus grande partie fut forcément dépensée en voyages préliminaires, en achats d’instruments, d’objets d’équipement, de provisions.

C’était dérisoirement peu, au seuil d’un voyage qui pouvait, qui devait être long, dangereux. Néanmoins je partis, confiant en l’adage : Audaces fortuna juvat. Hélas ! les proverbes sont faux.

Je ne parlerai n1 d’Alger, n1 de Phihippeville, ni de l’aérienne Constantine, n1 des tristes et fauves hauts plateaux qui la séparent de la triste Batna.

1. Paris, Ghallamel. — Alger, Bastide.

2. Voici, du resie, ce qu’écrivait M. Hanotcau en 1860 : « …. Et qui sait si, un jour, reliant Alger à Tombouctou, la vapeur ne mettra pas les tropiques à six journées de Paris® .

« Cetle idée paraitra bien folle et bien chimérique, peut-être : et cependant si lon veut se reporter par la pensée aux premières années de la conquête, si lon mesure Pétendue des progrès accomplis depuis cette époque, on sera, je pense, conduit à reconnaitre que {es obstacles vaincus pour obtenir ces progrès étaient plus difficiles à surmonter que ceux qui s’opposent encore au résultat que je viens d’indiquer. »


À quelques kilomètres au sud de Batna, la route, ou plutôt la piste de Biskra, descend le versant saharien de l’Aurès par El-Ksour, Aïn-Touta, colonie d’Alsaciens-Lorrains, les Tamarins, El-Kantara, l’oasis merveilleuse, et El-Outaya ; puis on franchit le dernier rameau de l’Aurès par l’échancrure taillée dans le flanc décharné du djebelt Bou-Rhezal (la Montagne aimée des gazelles), échancrure que les Arabes désignent sous le nom de S/fa, c’est-à-dire fente ou crevasse.

Le djebel Bou-Rhezal est Le dernier ressaut du massif connu des indigènes sous l’appellation poétique de yebel Ahhimar-Khaddhou (la Montagne à la joue rosci : il en est séparé par la gorge étroite au fond de laquelle la rivière de Biskra charrie péniblement ses eaux magnésiennes à travers les blocs tombés des flancs de la montagne.

Arrivé au point culminant du col, le regard étonné du voyageur embrasse une plaine immense qui se déroule vers le sud jusqu’à l’horizon lointain où elle semble se confondre avec le ciel.

Cette plaine est l’image de l’Océan, ct il serait diffieike de dire exactement quelles en sont les limites.

Comme l’Océan, certaimes de ses parties sont parsemées d’iles arrosées et ferules, au sein desquelles sont cachées des cités populeuses ; et ces îles, points de relâche de caravanes, où repaires de pirates, sont tantôt isolées ct tantôt groupées en archipels.

Comme l’Océan, elle a ses calmes énervants et ses tempètes horribles pendant lesquelles des flots de sable sont soulevés jusqu’aux nues,

Cette plaine, c’est le Sahara, dont le nom signifie plaine vaste, fauve et nue ; ct Les îles dont elle est parsemée s’appellent oasis, en arabe ouahhat, ou bien rhieb {sing, rhaba), c’est-à-dire forêts.

Une longue ligne d’un vert sombre se dessine d’abord à une faible distance dn pied de la montagne ; puis, de loin en loin, des taches noires apparaissent comme des mouchetures sur la dépouille d’un tigre gigantesque.

La ligne sombre, c’est la belle oasis de Biskra, avec ses deux villes : la ville française, ou Nouveau Biskra, délicieux séjour, garanti du brûlant soleil par Les flots de verdure qui jaillissent de ses luxuriants jardins et de ses squares magnifiques, et le Vieux Biskra, dont les sept quartiers, construits en briques d’argile séchées au soleil, sont dispersés dans la forêt de palmiers comme autant de villages distincts.

Les taches noires qui, de loin en loin, rompent l’uniformité de la vaste plaine, sont les différentes oasis qui composent l’archipel des Ziban ; la plus célèbre de toutes parmi les musulmans, celle de Sidi-Okba, possède le tombeau du grand conquérant arabe du septième siècle dont elle porte le nom.

Vue du haut du col de Sfa, l’oasis de Biskra se montre comme une longue ligne noire à l’entrée de la plaine fauve ; mais, à mesure que l’on descend les pentes tourmentées de la montagne, on la voit se dérouler et s’étendre à ses pieds comme un immense