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Un camp d’autres puînés assembla hasardeux
Et quittant son pays, fut capitaine d’eux,
Traversa la Hongrie et la basse Allemagne ;
Traversa la Bourgogne et la grasse Champagne
Et hardi, vint servir Philippe de Valois … »

Parmi les contemporains et compatriotes de Ronsard, figure un hospodar, Pierre Cercel, qui dut le trône à l’appui de l’ambassadeur de France à Constantinople. Il avait fréquenté aussi la cour des Valois, parlait douze langues et était poëte ; ce qui ne l’empêcha pas, après un règne assez court, de se sauver en Pologne, emportant quatre cent mille ducats, fruits de ses économies. À part son talent poétique et la science polyglotte, il eut beaucoup d’hospodars pour imitateurs, et, me disait mon aimable conteur, « nos meilleurs princes, sauf quelques exceptions, sont ceux qui ont régné le moins longtemps. » Quant à Pierre Cercel, dès qu’il eut conquis, en deux ans, la médiocrité dorée (quatre millions ! le pauvre sire !), il fit des vers italiens très-harmonieux, dans lesquels il célébra l’immense majesté de Dieu, qu’il voulait servir et honorer toute sa vie. Mais à ses élucubrations on préférera sans doute une délicieuse poésie pleine de finesse et de grâce, dont je dois la connaissance à l’aimable docteur ; elle est d’Héliade, un vrai poëte celui-là, qui fut en 1848 membre du gouvernement provisoire et un des chefs les plus influents du parti national avant cette époque. Voici à quelle occasion il la composa. Le gouvernement de Valachie avait concédé à un industriel russe, nommé Trandafiroff, le privilège d’exploiter toutes les mines du pays, moyennant la dîme des produits payée au trésor. Le Russe, fortement appuyé par son gouvernement, annonçait hautement l’intention de faire venir cinq mille ouvriers de son pays pour ses travaux. Le parti de l’opposition dénonça la concession comme une atteinte à la propriété, un abus de pouvoir et une invasion déguisée, et l’opinion publique fut ralliée à l’opposition par l’apologue d’Héliade. Le voici :

Village après Tirgu-Giulu. — Dessin de Lancelot.
le jardinier, la ronce, la trainasse et les fleurs.

Une ronce épineuse et sauvage, et galeuse, venue je ne sais d’où, arrachée par l’aquilon et jetée dans un jardin riche et fertile, prétendait y prendre racine parmi les fleurs odorantes. Elle traînait après elle certaine herbe maudite, qui s’étend, s’allonge en mille bras, s’attache, se cramponne, prend racine en terre, la dessèche, la rend stérile, absorbe le suc des plantes, rend vaine la sueur du jardinier, la traînasse enfin, cette honte des polygonées. Nous savons ce que vaut la ronce, pas grand-chose : ici pourtant elle prétend être de la famille des roses. Réjouissez-vous, amantes ; jeunes garçons, faites vos bouquets.

Enorgueillie de sa longueur, qu’elle prend pour mesure de sa noblesse, elle sourit à sa queue, qu’en guise de pompon elle a décorée d’un of et d’un ef, qu’elle fait sautiller çà et là ; of par-ci, ef par-là, of dans tout le jardin. C’est charmant !

Les fleurs curieuses se disent l’une à l’autre :

« Mais, ma sœur, est-ce donc une rose ?

— Rose ! oh non, ma mie, mais une ronce.

— Pauvres fleurs ! qu’allons-nous devenir ? Mauvais augure que la ronce ! Elle enlace, étouffe et nous fera mourir.

— Charmantes sœurs, reprend la ronce, qui les entend ainsi discourir, ne craignez rien, j’ai le même Dieu que vous, comme vous je porte des fleurs, et je vous invite à fleurir.

— La, la ! disent les fleurs, ronce, tais-toi ; tu n’as pas de Dieu, menteuse ; va donc, replie ta queue et déguerpis. Tu ne traînes après toi que malheur ; tu insinues dans tout sol qui te ravit, la stérilité et la mort. — Va donc, menteuse, replie ta queue et déguerpis. »

La rumeur alors était grande. Soudain entre le jardinier : il veut planter la ronce parmi les fleurs.

« Père jardinier, bon père, sais-tu donc bien ce que tu vas faire ? Bouche ce trou, tu feras bien ; arrose-nous, tu feras mieux ; et si tu nous en crois, bon père, à l’instant, nous t’en prions, chasse et la ronce et la traînasse.

— Vraiment ? répond le jardinier ; mais non ! cent fois non ! Taisez-vous, mes belles ; vous n’entendez rien à l’affaire. Chasser la ronce quand j’en peux faire un églantier ! y pensez-vous ? Boucher le trou, chasser ces plantes ! De tous mes soins soyez reconnaissantes. Permettez-moi de travailler au bien public, à sa ri-