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abondent. Le pays a l’air d’un vaste verger et paraît fort peuplé.

Le 2, nous arrivons à Gondokoro.

Sur un sol ferme, plus haut d’une vingtaine de pieds que les eaux du Nil, on aperçoit des ruines de murs construits en brique. Ce sont les restes d’une église et d’un établissement de missionnaires. À côté, on voit des bosquets de citronniers et de limoniers, et les vestiges de ce qui fut un jardin. Telles sont les traces d’une tentative aussi généreuse qu’inutile pour importer la civilisation de l’Europe chrétienne dans ce lointain pays. Quant à une ville, on la chercherait en vain. Gondokoro, bien que son nom soit presque célèbre, n’est qu’une station de négociants en ivoire, et se compose d’une demi-douzaine de cabanes misérablement construites en gazon. On ne l’habite que deux mois. Quand les embarcations sont reparties pour descendre à Khartoum, et les expéditions armées, pour aller, sous prétexte de commerce, porter dans l’intérieur du pays le ravage et la désolation, Gondokoro n’est plus qu’un lieu désert.


II


De Gondokoro au pays des Latoukas, dans le bassin du Sobat.

Notre ennuyeuse navigation sur les eaux limoneuses du Nil Blanc et de ses marécages était donc terminée. Courchid-Aga me prêta ses magasins pour y serrer mon blé, dont la moitié était réservée à MM. Speke et Grant.

Bientôt je m’aperçus que j’étais regardé avec la plus grande méfiance par les agents et les employés des négociants, réunis en grand nombre à Gondokoro. Ils n’admettaient pas que mon seul but fût de voyager et restaient convaincus que javais pour mission de les prendre en flagrant délit dans leur affreux commerce d’esclaves.

Cependant le bruit se répandait qu’à une grande distance dans le sud se trouvaient deux hommes blancs qu’un sultan avait longtemps retenus prisonniers et qui possédaient des feux d’artifice d’une espèce extraordinaire. Tous deux, disait-on, avaient été malades, et même l’un était mort. Je ne doutais pas que ce bruit ne se rapportât à MM. Speke et Grant.


Joctian, chef des Nouers (voy. p. 4). — Dessin de A. Neuville.

Comme il me fallait attendre l’arrivée d’une caravane pour repartir avec les porteurs d’ivoire qui m’aideraient à transporter mes bagages jusqu’à une factorerie prochaine, je me mis à donner de l’exercice à mes chevaux et à étudier les environs de Gondokoro et leurs habitants, qui sont de la tribu des Baris.

Leurs demeures sont des modèles de propreté. Chaque famille a un domicile entouré d’une haie impénétrable d’euphorbes. L’intérieur de l’enclos forme une cour dont le sol est durci par une espèce de crépi composé de cendre, de fiente de vache et de sable. Sur la surface, soigneusement balayée, s’élèvent une ou plusieurs cabanes qu’environnent des greniers fort habilement tressés en osier, couverts de chaume et soutenus par des plates-formes. D’autres constructions plus basses servent de poulaillers. Quant aux cabanes d’habitation, leur toiture forme une saillie, que supporte une colonnade de piliers et où l’on peut trouver de l’ombre pendant les ardeurs de la journée. Leur porte a généralement deux pieds de hauteur.

Dans un coin de la cour on enterre les membres de la famille qui viennent à mourir, et, sur la sépulture, on pose, à un bout, un poteau supportant des crânes de bœuf garnis de leurs cornes ; à l’autre, une touffe de plumes de coq.

Les femmes ont généralement la tête rasée. Comme celles des Cheurs, elles portent pour tout costume un tablier d’environ six pouces, élégamment brodé en perles ou fait en petits anneaux de fer, semblable à une cotte de mailles ; par derrière pend la queue accoutumée, faite en lanières de cuir fort déliées ou en ficelles fabriquées avec le coton du pays. Ce tablier et la queue qui l’accompagne sont attachés à une ceinture qui entoure le bas du torse, en sorte que la toilette de ces dames est achevée tout d’un coup. À la rigueur,