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C’est dans leur pays, mais plus haut en remontant le Nil, que se trouvait la station des missionnaires autrichiens de la Sainte-Croix. L’établissement comprenait une vingtaine de huttes de gazon. Mais le supérieur, Grerr Morlang, m’avoua douloureusement que la mission ne pouvait avoir d’influence sur des sauvages de l’espèce de ceux parmi lesquels elle avait été fondée. Après un travail assidu, continué avec zèle durant plusieurs années, on n’avait obtenu aucun résultat. Ces nègres sont au-dessous des brutes, qui du moins ont des sentiments d’affectueuse reconnaissance pour ceux qui prennent soin d’elles. La société des missionnaires avait donc reconnu l’inutilité de cet établissement, et Gerr Morlang vient de vendre trois mille piastres, à peu près sept cent cinquante francs, son village à Courchid-Aga, négociant circadien, en compagnie duquel nous naviguions depuis le pays des Nouers.

Le 26 janvier, nous passions devant la contrée qui appartient aux Bohrs, sur la rive orientale ; le 28, devant les bivouacs des Aliabs, qui occupent, la rive occidentale.

Aucune de ces tribus du Nil Blanc ne mange la chair de leurs nombreux bestiaux. Elles se contentent du lait des vaches et du sang qu’elles tirent abondamment chaque mois à leurs animaux pour le faire bouillir et s’en nourrir. Quant à la fiente du bétail, elles en entretiennent des amas toujours incandescents, dont la cendre sert à oindre le corps, et la fumée à chasser les moustiques.

Le 30 janvier, nous traversions le district des Cheurs, dont les habitudes et les usages ressemblent à ceux de beaucoup d’autres tribus que nous rencontrâmes ensuite.

Les hommes ont pour armes des casse-tête en ébène fort bien faits, deux lances, un arc toujours tendu et un faisceau de flèches ; sur le dos, ils portent un petit tabouret ; à la main, une pipe immense. Leur tête est, au sommet, ornée d’aigrettes en plumes de coq. Quand ils sont debout, leur attitude favorite est de se tenir sur un pied tandis qu’une jambe pliée met l’autre pied en dedans de la jambe qui est tendue. Ils trouvent leur équilibre en s’appuyant sur une lance dont un bout pose à terre. Leurs flèches, d’à peu près trois pieds de longueur, sont dépourvues de plumes, et ont une pointe de bois dur, à cause de la rareté du fer chez eux.


Enfant affamé de la tribu des Kytchs. — Dessin de A. de Neuville.

Quant aux femmes, comme dans les tribus des Kytchs et des Baris, elles portent par devant un petit tablier de cuir ouvragé, ayant la largeur d’une main, et attaché à une ceinture de laquelle pend par derrière une queue qui descend jusqu’aux jarrets et qui est faite de très-minces lanières de cuir. L’article de luxe qu’elles apprécient ensuite le plus se compose des anneaux de fer poli qu’elles portent aux jambes en nombre suffisant pour monter jusqu’à la moitié du mollet et pour produire, lorsqu’elles marchent, un bruit qu’elles regardent comme du meilleur effet. Elles s’arrangent aussi, avec des morceaux de coquilles d’eau douce enfilées à des crins de girafe, des colliers et des ceintures dont la confection exige beaucoup de temps et qui ressemblent presque à des colliers de boutons en nacre de perle.

Elles portent leur enfant dans un sac de cuir attaché à leurs épaules et qui descend le long du dos, où il est fixé par une courroie. Elles conservent ainsi la liberté de leurs mouvements, et le négrillon se trouve fort à son aise dans son sac.

Leurs cabanes, comme dans la plupart des tribus, sont circulaires, avec des portes si étroites qu’on ne peut y entrer ou en sortir qu’à quatre pattes.

La récolte principale sur les bords du Nil Blanc est celle des graines de lotus. Il y a deux variétés de ces nénufars : l’une, grande et à fleurs blanches ; l’autre, plus petite. La capsule à graines de lotus blanc ressemble à un artichaut, dont la fleur n’est pas encore développée. Elle contient une quantité de graines grosses comme celles de la moutarde, mais ayant la forme de celles du pavot et la couleur d’un rouge clair ; leur saveur est sucrée et rappelle celle de la noisette. Dès que les capsules sont mûres, on les récolte et on les enfile sur des roseaux pointus et longs de quatre pieds, dont on forme ensuite des amas qu’on transporte dans les villages pour y faire sécher les capsules au soleil. Ensuite, on les emmagasine pour les transformer au fur et à mesure en une farine dont on fait de la pâte et des galettes.

Le 31 janvier, nous apercevons la montagne Lardo.

Le 1er février, nous sommes décidément sortis des marais niliaques. La rive est sèche et s’élève à la hauteur de quatre pieds au-dessus du fleuve. Les arbres