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venu. Il convient d’ajouter que les moines nourrissent gratuitement une centaine de mendiants.

Nous partons le lendemain.

Sur la route… Il n’y en a plus depuis Troïtza. Nous sommes en pleine Russie, et on y court grand risque de s’y casser plus d’une fois le cou, à moins d’être un de ces puissants seigneurs qui ont seuls le droit de mettre en réquisition tous les serfs pour leur préparer un chemin à peu près passable. Notre hyenchick, homme prudent, met sa hache dans la télègue ; cette mesure est non-seulement utile mais indispensable.

Comment le gouvernement, direz-vous, n’a-t-il pas plus de soins de la construction et de l’entretien des routes dans l’empire ? — Ce n’est pas la faute du gouvernement. Il est lui-même victime de cette détestable viabilité, il en souffre par la difficile circulation de ses courriers, de ses employés et de ses troupes. Il donne de l’argent, beaucoup d’argent, il envoie des ingénieurs, des conducteurs de travaux ; mais par un phénomène prodigieux au point de vue de la métallurgie, l’argent qui part de Pétersbourg, parfaitement monnayé, selon le volume et le poids réglementaires, lorsqu’il arrive à destination, après avoir passé de mains en mains, se trouve avoir perdu 99 pour 100 de son poids, quelquefois plus encore. L’administration russe sait seule le secret de cette singulière réduction. On parle de réformes, mais on les attend toujours. Combien de fois n’avons-nous pas entendu dire : « On pourrait paver cette route en argent, si on avait toutes les sommes qu’on a envoyées pour la faire paver en pierre. »


Intérieur d’un isba. — Dessin de M. Moynet.

De cahots en cahots, nous arrivons enfin au lac de Péroslaw, nappe d’eau douce qui jouit de la singulière propriété de recevoir deux fois par an des bandes de harengs, au moment même du passage de ce poisson sur les côtes de l’océan.

On conserve à Péroslaw une vieille barque qu’on appelle la mère de la flotte russe. C’est l’embarcation que Pierre le Grand fit construire par des Hollandais, et qui lui servit à l’enseignement des manœuvres navales.

Au bord du lac de Péroslaw se trouve un petit monument en briques de forme assez originale ; au centre s’élève un grand Christ.

La nuit est toute noire au moment où nous perdons de vue la ville de Péroslavv. Nous voyageons dans la plus complète obscurité et nous ne tardons pas à nous égarer. Mais Kalino, mon interprète, n’est jamais embarrassé : il a deviné des isbas dans les environs. Il fait arrêter la télègue sans façon à la porte de l’un d’eux. Sans se donner la peine de demander l’hospitalité, il s’empare de l’unique pièce de la maison, et