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que de tuer leur bétail, ils se laissent mourir de faim. En somme, ce sont des pasteurs fort misérables.

Le chef de cette tribu portait sur ses épaules une peau de léopard, attachée de façon à laisser voir le reste de son corps. Il avait pour tabatière une espèce de pique en fer de deux pieds de long, creusée à une extrémité que fermait un morceau de peau d’iguane. Il s’en pouvait servir comme d’une massue ou d’un poignard. Sa tête était coiffée d’une calotte de perles blanches, ornée d’un bouquet de plumes d’autruche. Sa fille, âgée d’environ seize ans, était la plus jolie négresse que j’eusse jamais vue ; son costume consistait en un morceau de cuir tanné d’environ un pied carré et qui attaché à un collier pendait sur le bras gauche ; de plus, elle portait, comme les autres jeunes filles du pays, une étroite ceinture composée de petits ornements de fer retentissants.

Pour en revenir à ces naturels, les hommes sont de belle taille, mais horriblement maigres ; les enfants ont l’air de squelettes, et, de fait, quand nous la vîmes, toute la tribu avait l’air affamé. Leurs parties postérieures paraissent avoir été enlevées à coups de rabot ; la maigreur donne à leurs bras et à leurs jambes une apparence démesurée. En exagérant, on pourrait dire qu’ils ressemblent plus à des cousins qu’à des hommes.

Dans cette saison, où leur pays est devenu un marais, les Kytchs se rassemblent comme des paquets de vermines sur le sommet des fourmilières qui dominent les eaux et les boues. Ces fourmilières sont construites durant la saison sèche par les fourmis blanches qui, montrant ici plus de prudence et d’énergie que les hommes, élèvent à une dizaine de pieds ces espèces de tours de Babel pour se préserver de l’inondation. Quand les eaux montent, elles s’y réfugient dans les étages supérieurs, et leurs bâtiments sont si solides que les Kytchs, qui y pullulent, y allument des feux, se mettant dans la fumée pour se préserver des moustiques, en se frottant le corps de cendre pour se garantir du froid.

Naturels de la tribu des Nouers. — Dessin de A. de Neuville.

Ces affamés nous assiégeaient toute la journée pour échanger leurs petits fagots contre des poignées de grains ou pour mendier de la farine qu’ils recevaient dans des coquilles en forme de gourde ; puis ils avalaient ce qu’on leur avait donné.

Leur misère est telle qu’elle leur fait dévorer avec avidité les animaux qu’ils trouvent morts, même la peau, même les os qu’ils broient entre deux pierres pour les réduire en une sorte de pâte dont ils se repaissent. Un animal qu’ils ont ramassé ou qu’ils ont tué, est absorbé de façon à ce qu’il n’en reste pas assez pour nourrir une mouche.

La polygamie est permise chez eux connue chez la plupart des sauvages qui habitent les climats chauds ; et, lorsqu’un homme devient très-âgé, ses nombreuses jeunes femmes deviennent l’héritage de son fils aîné.

À la tête de chaque troupeau, ils mettent un taureau sacré dont les cornes sont ornées de plumes et souvent de clochettes ; ce taureau est le chef des bestiaux qu’il mène paître, et, le matin, quand il sort de leur kraal, les Kytchs lui adressent une sorte de prière : « Veille bien sur tous tes camarades, lui disent-ils ; empêche les vaches de s’égarer et conduis-les aux endroits les plus fertiles, afin qu’elles nous donnent une grande quantité de bon lait. »