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Maintenant, quel parti peut-on tirer des découvertes récentes ? Sans doute, l’Afrique centrale est naturellement une admirable contrée. Elle produit d’elle-même le coton, le café, la canne à sucre et le bananier ; mais elle ne connaît que deux articles d’exportation : l’esclave et ivoire. Malheureusement, les barbares qui l’occupent, ne sont stimulés par presque aucune nécessité de travailler pour vivre, et ils ne semblent aimer que la paresse et la guerre. Il est difficile d’y pénétrer par les côtes maritimes, et le climat y est contraire aux Européens. La colonisation n’y est donc guère possible. Les missionnaires qui ont voulu, par le nord, y faire pénétrer la civilisation chrétienne, ont reconnu l’inutilité de leurs efforts. Aussi longtemps que la traite des nègres donnera un développement fructueux à cet abominable esclavage, qui existe probablement depuis l’origine même des populations en Afrique, il n’y aura rien à espérer pour cette région si belle où homme seul fait son propre malheur. L’esclavage dessèche tous les germes de la civilisation : la pitié, l’amour, l’esprit de famille, l’esprit d’enrichissement par le travail et par le légitime commerce. Il faut le supprimer, en engageant l’Égypte à persévérer dans les mesures qu’elle vient de prendre. Qu’on intercepte le commerce actuel du Nil Blanc, en en faisant, par transition, un monopole confié, sous de certaines conditions, à une compagnie surveillée, le commerce légitime aura bientôt pénétré jusqu’aux lacs, et l’on ouvrira ainsi la route au christianisme et à la civilisation de l’Europe.


Tête d’oie à huppe rouge du haut Nil.

Quant à l’ethnologie de ces pays, elle m’échappe. J’y trouve au moins cinq langues différentes, qu’on parle dans le Dinka, dans le Bari, dans le Latouka, dans le Madi et dans l’Ounyoro ou Kitouara ; sans compter celles du Makkarika et du Mallegga qu’on dit ne pas se ressembler. D’autre part, en considérant que ces peuples nègres ne paraissent avoir aucune idée de la vie future ni de l’existence de Dieu, et en remarquant que, depuis la création d’Adam, ces idées se sont toujours conservées chez les races blanches ou jaunes, je suis tenté de croire que la race noire est préadamite. Les races qui sont dénuées de l’instinct de religion ne me semblent pouvoir être comparées qu’à ces ossements fossiles qui nous prouvent l’existence des animaux antédiluviens[1].


Tête d’oie à bec caronculé du haut Nil.

La géologie de l’Afrique centrale me paraît même venir à l’appui de cette hypothèse. La région où le Nil prend sa source, est un plateau élevé de quatre mille pieds au-dessus du niveau de la mer. C’est de là que descendraient, vers le sud, les eaux se rendant au lac Tanganyika et à un autre lac où le Congo prendrait sa source ; vers le nord, il enverrait des eaux au Niger et au lac Tchad, comme aux lacs Albert et Victoria. Or, ce plateau est composé de roches granitiques. La formation géologique de cette partie du monde est toute primitive et la surface n’en paraît avoir été altérée ni par l’action des volcans, ni par celle de mers qui y auraient longtemps séjourné. Il s’ensuivrait que les races d’hommes devraient y être au moins aussi anciennes qu’aucune de celles qui peuplent le reste de notre globe. Et peut-être y ont-elles précédé la création d’Adam, puisque, au contraire de l’homme historique, elles manquent complétement de tradi-

  1. Nous croyons devoir dégager entièrement notre responsabilité des opinions émises ici par le voyageur et des théories scientifiques sur lesquelles il cherche à les étayer. (Rédaction.)