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nous firent plus de peur que de mal. Nous passâmes sans accident. La nuit suivante, elles bloquèrent notre camp, et un de leurs archers fut tué par une de nos sentinelles. Cet événement mit fin à leurs volontés agressives et nous arrivâmes sans autre incident à Gondokoro.

Partis sous les auspices les plus contraires, nous y revenions, malgré notre petit nombre, en vainqueurs, portant devant nous le drapeau de l’Angleterre. « Hourrah pour la vieille Angleterre ! » Nous entrons en poussant des cris de joie ; nous entrons en faisant parler la poudre ! Les Turcs nous répondent ; mais nous ne trouvons à Gondokoro ni lettres d’Angleterre, ni navire pour nous transporter à Khartoum. On nous croyait morts ou du moins partis pour Zanzibar. Nous étions à Gondokoro, mais sans ressources !


Le baggera, poisson du lac Albert.

Cette station était pleine des caravanes des négociants qui y avaient amené plusieurs milliers d’esclaves ; ces messieurs étaient plongés dans la consternation. De tous les navires qu’on attendait trois seulement, appartenant à Courchid-Aga, y étaient arrivés ; mais ils avaient donné d’effrayantes nouvelles. L’Égypte s’était résolument mise à supprimer la traite des nègres et avait envoyé à Khartoum quatre bateaux à vapeur. Deux d’entre eux avaient établi une croisière sur le Nil Blanc, où déjà ils avaient saisi plusieurs négriers, dont les équipages avaient reçu la bastonnade et dont les cargaisons avaient été confisquées. Le Chillouk avait été occupé par un régiment égyptien et les négociants étaient réduits à l’impossibilité de transporter leurs esclaves dans le Soudan égyptien, pour les y vendre. Enfin la peste, après avoir tué à Khartoum quinze mille personnes, s’était répandue jusqu’à Gondokoro.


Lepidosiren annecteus, poisson du lac Albert.

Profitant de l’effroi répandu par le bruit qu’un bateau à vapeur remontait jusqu’à cette place, je louai un des navires qui appartenaient à Courchid et qui allait redescendre à vide. Je le fis nettoyer à fond, parce que plusieurs des hommes de son équipage y étaient morts de la peste, et je m’y embarquai avec joie pour échapper à l’horrible puanteur qui remplissait la station et le fleuve où l’on jetait tous les malheureux atteints de l’épidémie. Au moment du départ, je reçus les adieux d’Ibrahim, qui, je dois le reconnaître hautement, s’était, depuis notre convention dans le défilé d’Ellyria, montré religieusement fidèle à sa parole. Je l’en récompensai.

Les sentiments de cette population barbare de Gondokoro à mon égard étaient bien différents de ceux qu’elle m’avait témoignés à mon départ. J’avais réussi dans mon entreprise. Toutes mes prédictions, même celle de la suppression de la traite des nègres, s’étaient accomplies. Ceux qui m’avaient été hostiles, le malheur les avait frappés. Ceux qui m’avaient été bienveillants et favorables la fortune les avait récompensés. La volonté de Dieu s’était manifestée, disait-on ; et l’on courbait la tête.

Pendant que nous descendions rapidement le Nil, je m’occupai à résumer les connaissances que j’avais acquises sur le bassin de ce fleuve.

Il est compris entre le 20e et le 37e degré de longitude à l’est de Paris ; le 3e de latitude méridionale et le 31e de latitude septentrionale. Le lac Victoria verse dans le lac Albert les eaux de tous les affluents qu’il a reçus ; le second est donc le réservoir général des eaux du centre de l’Afrique équatoriale.

Quand Ptolémée a annoncé que le Nil sortait de deux lacs où venaient se concentrer les eaux des montagnes neigeuses de l’Éthiopie, il a dit la vérité, et il ne s’est trompé que sur les détails.

Speke et Grant ont trouvé le premier de ces lacs ; ils ont entendu parler du second. Mon exploration, guidée par les renseignements qu’ils m’ont communiqués, n’a eu d’autre objet que de confirmer leurs découvertes d’une façon incontestable, et d’unir la voix d’un témoin au concert des louanges qu’ils ont méritées.

On sait que Speke a donné à la rivière qui sort du lac Victoria, le nom de Somerset. Cette rivière tombe dans le lac Albert qui devient ainsi le grand réservoir du Nil Blanc.

Dans la région de ces lacs, la saison des pluies dure depuis le commencement de février jusqu’à la fin de novembre ; pendant les deux autres mois, le temps est incertain et il tombe de nombreuses averses avec toute la violence propre aux régions tropicales. Il en résulte que le Nil trouve dans le lac Albert, qui conserve toujours un niveau élevé, l’alimentation incessante qu’exige son cours de plus de mille lieues.

Il a pour affluents : l’Yé et le Bahr-el-Gazal, à gauche ; à droite, l’Asoua, le Sobat, puis le Nil Bleu ou Bahr-el-Azek et l’Atbara, rivières abyssiniennes, dont la crue détermine le débordement du Nil en Nubie et en Égypte. Des autres affluents, c’est le Sobat qui est le plus considérable.