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Le lac Albert pendant un ouragan.


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VOYAGE À L’ALBERT N’YANZA OU LAC ALBERT
(LE LOUTA-N’ZIGÉ DU CAPITAINE SPEKE),


PAR SIR SAMUEL WHITE BAKER[1].


1861-1864. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS INÉDITS.


V


Le faux et le vrai Kamrasi. — Arrivée à Shoua.

Peu après les événements précédents, nous prenions quelque repos dans une misérable hutte, quand l’on m’annonça la visite de Kamrasi, et presque immédiatement je vis paraître le personnage que jusqu’alors j’avais regardé comme le roi de l’Ounyoro. Mais, bien différent dans ses manières de sa dignité affectée d’autrefois, il m’aborda en riant aux éclats, comme si notre chétive apparence l’eût grandement réjoui : « Eh bien ! s’écria-t-il, vous avez donc vu le M’woutan-n’zigé ? Mais vous ne vous en portez pas mieux ! C’est à peine si je puis vous reconnaître ! ha, ha, ha !… » Je n’étais pas d’humeur à subir ses facétieuses railleries, et je me hâtai de lui déclarer que sa conduite discourtoise était digne de mépris, et que j’allais la publier parmi les tribus environnantes, afin qu’il descendît dans l’estime de toutes au-dessous de toute comparaison. « Oubliez, oubliez tout cela, s’écria-t-il ; vous êtes bien maigres tous les deux, c’est vrai, mais aussi c’est votre faute. Pourquoi avez-vous refusé de combattre Fowouka ? Vous auriez été comblés de bétail gras, de lait et de beurre, et vous vous porteriez bien. Mes gens sont prêts à attaquer Fowouka demain matin ; les Turcs sont au nombre de dix hommes ; vous en avez treize ; treize et dix font vingt-trois ; on vous portera si vous ne pouvez marcher et Fowouka ne pourra nous échapper. Lui mort, mon frère vous donnera la moitié de son royaume. Vous aurez des provisions ce matin. Je vais trouver mon frère, le grand M’kamma Kamrasi, et il vous enverra tout ce que vous pouvez désirer. Je ne suis qu’une chétive créature, moi, mais lui, est un grand homme ! Je n’ai rien, mais il possède tout et il désire vous voir. Vous pouvez aller le trouver facilement. Il demeure tout près d’ici. »

J’écoutais mon interlocuteur avec stupéfaction ; était-il ivre ou de sang-froid ? — « Que me contez-vous, m’écriai-je, avec votre frère, le grand M’kamma Kamrasi ? Si vous n’êtes pas Kamrasi lui-même, qui êtes-

  1. Suite et fin. — Voy. pages 1 et 17.