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sous la protection combinée des deux religions de l’empire. Le bouddhisme, il est vrai, exerce dans ces lieux la suprématie, et elle s’y étend sur plus de soixante-dix bâtiments sacrés ; mais, dans ce nombre, les anciens dieux, Hatchiman, Benten, Inari, ont chacun leur chapelle, et un temple dédié au culte des Kamis décore l’avenue orientale du Soyosti, du côté du Tokaïdo et de la baie. C’est dans la même direction que se trouve le débarcadère du Taïkoun, établi sur l’île d’Amagoten, à l’embouchure de la rivière Tamori-iké, qui alimente les fossés du castel.

Amagoten forme un parallélogramme régulier et se relie par deux ponts, interdits au public, d’un côté au quartier d’Atakosta, de l’autre a celui de Kio-bassi. J’en ai fait à peu près le tour dans notre sampan consulaire. Les murs de revêtement, les escaliers, les pavillons du débarcadère, les massifs de verdure qui l’ombragent sont admirables de grandeur, de simplicité et d’élégance. Les grands arbres qui, des deux côtés bordent la rivière, à son embouchure, protégent d’un épais berceau de feuillage ses eaux pures et profondes.

Il a été fait des démarches collectives auprès du gouvernement japonais, de la part des ministres de France, de Hollande, d’Angleterre et d’Amérique, dans le but d’obtenir la cession d’Amagoten pour y installer les légations : malheureusement elles n’ont pu aboutir, parce que l’exécution rationnelle de ce plan eût exigé la jouissance de l’île entière, tandis que le gouvernement ne voulait en abandonner qu’une minime partie.

Nous nous sommes éloignés des bâtiments du Soyosti, après avoir atteint la limite nord-ouest de cette vaste bonzerie. C’est là que s’élève le palais du grand prêtre, et l’on montre, au-dessous, l’avenue et le portail réservés exclusivement à l’usage du Taïkoun : il y passe une fois par an, lorsqu’il va faire ses dévotions obligées aux tombeaux de ses ancêtres. Chaque courtisan, à son exemple, visite, en grande cérémonie, un certain jour de l’année, le cimetière de sa propre famille.


Vue prise aux abords d’Akabané. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie.

Nous poursuivons notre route vers le nord. Toute la partie du quartier d’Atakosta qui s’étend à notre droite jusqu’à Amagoten, à l’exception des rues bourgeoises qui longent le Tokaïdo, est occupée par des résidences de daïmios et de hauts fonctionnaires de l’empire.

À notre gauche, quatorze petits temples contigus, ceux de Saïsoostji, s’étendent au pied des collines d’Atagosa-Yama. Un large ruisseau les sépare de la voie publique ; chacun d’eux a son pont spécial, son portail, son préau, ordinairement bordé, sur les côtés, de chapelles ou d’habitations de bonzes ; au fond de la cour, on distingue la chapelle des ablutions, le bosquet sacré, la toiture du sanctuaire.

Cependant la sixième bonzerie fait exception. Lorsqu’on en franchit le seuil, on ne voit d’abord devant soi qu’une grande cour dallée, au milieu de laquelle s’élève un majestueux tori de granit ; et quand on a passé sous la porte sacrée, on se trouve en face de deux candélabres placés au pied d’une esplanade où l’on monte par quelques degrés ; puis il s’en présente une seconde, bordée de grands arbres dont les branches se croisent de part et d’autre comme les arceaux d’une cathédrale gothique. C’est alors que l’on distingue à travers leur feuillage un large escalier de pierre, dont le sommet se perd parmi les massifs de verdure.

Nous le gravissons peu à peu jusqu’au haut de la colline : il compte environ une centaine de marches, régulièrement étagées. Il y a toutefois à sa droite un autre chemin d’un accès plus facile, tracé obliquement le long des pentes boisées et composé d’une série d’escaliers entrecoupés par des terrasses pourvues de reposoirs.

Un oratoire délabré, avec quelques idoles insignifiantes, et de spacieuses galeries ouvertes, rayonnant autour d’une maison de thé, occupe le sommet d’Ata-