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vres enfants, en se ployant et se déployant l’un sur l’autre, au son monotone du tambourin de leur conducteur, présentent le spectacle d’une lutte grotesque et réellement fantastique entre deux animaux à tête de monstre et à membres humains (voy. p 315.)

Aux bruits assourdissants des divertissements de la place publique se mêlent, presque aussi fréquemment qu’à Kioto, les sons des timbres et des clochettes de frères mendiants. J’en vis, pour la première fois, qui n’étaient pas tonsurés et m’informai de l’ordre auquel ils pouvaient appartenir. Notre interprète me répondit que ce devaient être des laïques, de simples bourgeois de Yédo faisant de la dévotion métier et marchandise. Bien qu’ils fussent tous également vêtus de blanc en signe de deuil ou de pénitence, ceux qui portaient une clochette, un long bâton, quelques livres dans un panier, et un grand chapeau blanc orné, sur le côté, d’un dessin du Fousi-Yama, venaient d’accomplir un pèlerinage sur la sainte montagne, aux frais de la charité publique ; et les autres, chargés d’un timbre à la ceinture, d’un vaste chapeau noir et jaune et d’une lourde châsse sur le dos, étaient probablement des chônins, de petits marchands ruinés, qui n’avaient rien trouvé de mieux que de se faire colporteurs et montreurs d’idoles à la solde de quelque bonzerie.



Bourgeois de Yédo, colporteurs et pèlerins. — Dessin de A. de Neuville d’après des esquisses japonaises.

À la hauteur du Hatoban, une longue rue se détache du Tokaïdo, coupe obliquement la chaîne de collines ou sont situées les Légations, et traverse en ligne droite, du sud au nord, la partie septentrionale de Takanawa. Nous la suivîmes jusqu’au bout, et elle nous fit passer successivement par trois zones bien distinctes de la vie sociale de Yédo.

C’était, en premier lieu, celle que je viens de décrire, la zone méridionale, avec sa cohue de gens vivant en plein air de l’exploitation de la voie publique.

Nous rencontrâmes au contraire, derrière les collines de nos bonzeries, une population toute sédentaire, vouée, dans ses demeures, à divers travaux manuels. Les ateliers s’annoncent au loin par des enseignes significatives : tantôt c’est une planche taillée en forme de chaussure, ou sur le patron d’un kirimon ; tantôt un énorme parapluie en papier ciré, ouvert comme un auvent, au-dessus de la boutique ; ailleurs, une quantité de chapeaux de paille de toutes dimensions, enfilés du haut du toit de la maison jusqu’à la porte du magasin. Nous regardâmes un instant des armuriers et des fourbisseurs occupés à monter des cottes de mailles, des éventails de guerre en fer et des sabres de samouraïs. Un vieil artisan, tout nu, accroupi sur une natte, tirait le soufflet de la forge avec l’orteil du pied gauche, et martelait en même temps de la main droite, sur une enclume, la barre de fer qu’il tenait de main gau-