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rade, fut aussi atteinte par le fléau de l’incendie, en 1860, pendant que M. Du Chesne de Bellecourt y résidait avec l’abbé Girard ; mais des secours bien dirigés l’ont préservée d’une destruction totale.

Le Tosendji, siége de la légation britannique, est la plus belle et la plus vaste des résidences étrangères. Cette antique bonzerie, propriété du prince Shendaï, fut mise à la disposition de lord Elgin par le gouvernement du Taïkoun, en 1858. Elle est à un kilomètre environ au sud du Tjoôdji, adossée à des collines plantées d’avenues et de bosquets, ou le bambou, le palmier, l’azalée, le saule pleureur, le châtaignier, se marient à des pins de cinquante à cent pieds de haut. Mais il n’est, pour ainsi dire, pas un recoin de cette charmante habitation qui ne rappelle quelque souvenir funèbre. Le pied du mât de pavillon a été rougi du sang de l’interprète japonais Denkouschki ; les abords du portail, la cour, le temple, le premier étage de la légation, sont devenus, dans l’attaque nocturne du 4 juillet 1861, le théâtre d’une affreuse mêlée, qui a laissé cinq morts sur le carreau et dix-huit blessés ; enfin, c’est sur la vérandah, du côté du jardin, que tombèrent, un an plus tard, deux soldats de la marine anglaise, après avoir mortellement blessé l’un de leurs assassins.

Les agents diplomatiques des puissances qui ont conclu des traités avec le Japon ne sont point restés inactifs, on peut le croire, en présence de la situation qui leur était faite à Yédo. Après mûre délibération sur le parti qu’ils avaient à prendre, ils exigèrent et obtinrent du Taïkoun qu’il leur garantît la concession d’un emplacement où l’on pût à la fois réunir toutes les légations, les mettre en état de défense, et assurer leurs communications avec l’ancrage des vaisseaux de guerre.


Porteurs de Norimon (voy. p. 291). — Dessin de Émile Bayard d’après une vignette japonaise.

Il existait, à l’extrémité méridionale du quartier de Takanawa, sur un groupe de collines dominant le Tokaïdo, la rade, la batterie d’odaïwa, un jardin public très-spacieux, appelé Goten-Yama. On jugea qu’il offrait tous les avantages désirables, et l’on s’empressa de mettre la hache dans les vergers de pêchers en fleurs et dans les bosquets de cèdres, où les bourgeois de la cité et les petits samouraïs aimaient à venir en famille, contempler la vue de la baie, prendre le thé, boire le saki, jouir des productions musicales et chorégraphiques des beautés du voisinage. Quand tout fut bien rasé, nivelé, aplani ; quand la nouvelle légation britannique, déployant son imposante façade, ses élégantes galeries, ses pittoresques toitures, eut donné aux nobles et aux manants de Yédo un avant-goût des magnificences que leur promettait le futur quartier des ministres de l’Occident, tout à coup, par une belle nuit d’hiver, la rade resplendit comme d’un immense feu de joie allumé sur le Goten-Yama : aussitôt terminé, le premier palais européen élevé dans la capitale du Taïkoun brûlait de fond en comble. Les autres en sont restés aux travaux de fondation ou aux plans sur le papier, et les représentants des puissances amies du Japon résident encore à Yokohama.


Excursion dans le quartier d’Atakosta.

Un jour, nous annonçâmes à nos Yakounines que nous allions faire une grande promenade à pied dans la direction du Castel.

Cette communication ne leur plut que médiocrement : autant ils aiment à escorter à cheval leurs hôtes étrangers, et à parcourir au grand trot avec eux les longues rues de la capitale, autant il leur est désagréable de prendre part à des excursions pédestres, qui mettent leur vigilance continuellement aux prises avec les fantaisies de la curiosité occidentale.

M. Kaiser et M. Favre, qui avaient gagné dans les veilles du poste de Tjoôdji les bonnes grâces des principaux officiers de la garde, eurent l’heureuse idée de leur fournir un sujet de distraction pour la route. Ils