Page:Le Tour du monde - 15.djvu/3

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

breux chez les Shillouks, tandis que le Denka est plat et marécageux. Le Nil a des eaux mortes et limoneuses ; celles du Sobat sont plus limpides et font cinq milles à l’heure. Le Sobat avait vingt-sept pieds de profondeur lors de notre passage, mais c’est un torrent qui se subdivise, à peu de distance du confluent, en plusieurs autres, et qui se sèche dès qu’il ne pleut point.

Par delà, le Nil ressemble à un grand marais, où le chenal, au milieu de roseaux étendus à perte de vue, n’a que cent cinquante mètres de large. Dans cette partie de son cours, il reçoit sur la rive droite, le Bahr-el-Girafe et, sur la gauche, le Bahr-el-Gazal. Le premier n’est qu’une branche du Nil ; le second n’est qu’un long système de marécage sans courant. Ici le passage ne peut être ouvert qu’au milieu des roseaux, des ambatchs, et de papirus magnifiques dont le sommet a environ quatre pieds de diamètre ; la navigation ne se fait qu’en halant péniblement les navires au moyen de cordages attachés aux roseaux ; c’est le domaine perpétuel de la fièvre. La tige des arbres ne portant pas de marque faite par les hautes eaux, on en conclut que le niveau y change peu sensiblement malgré la diversité des saisons. Les bras du Nil y ressemblent à un écheveau de fil étendu sur une mare, et l’on comprend aisément, à la vue des sinuosités extraordinaires qu’il décrit dans cette région, que les anciens aient renoncé à pousser plus loin leurs recherches.

Depuis le Bahr-el-Gazal, le Nil, réduit à cent mètres de largeur, et à un courant d’un mille trois quarts ou deux milles et demi par heure, traverse sur un long espace le territoire des Nouers.

Le 13 janvier 1863, nous nous sommes arrêtés près d’un village qui s’élevait sur la rive droite, et les Nouers n’ont pas tardé à se rendre près de nos bateaux. Les hommes sont nus comme nos mains. Ils frottent leurs corps de cendre et se servent d’un mélange de cendre et d’urine de vache pour se teindre les cheveux en rouge ; ce qui leur donne un aspect affreusement diabolique. Celles des femmes qui ne sont pas mariées, vont également toutes nues ; les autres se couvrent le bas du torse avec une ceinture faite d’herbes. Les hommes portent au cou des colliers de perles fort lourdes ; aux bras, des anneaux qui sont, en haut, faits d’ivoire, et au poignet, fabriqués en cuivre, sans compter un horrible bracelet de fer massif qu’arment des pointes, longues d’un pouce à peu près et qui ressemblent aux griffes d’un léopard.

Quant aux femmes, pour achever de s’embellir, elles pratiquent une incision dans leur. lèvre supérieure et s’y plantent un fil de fer qui s’avance de quatre pouces comme la corne d’un rhinocéros et qu’elles ornent de verroteries. Elles sont hideuses. Les hommes, malgré leur taille et leur vigueur, ne sont guère plus beaux. Leurs pipes contiennent près d’un quart de livre de tabac, et, si le tabac vient à leur manquer, ils y fument du charbon de bois. Le sac qu’ils suspendent à leur cou est sans doute destiné à contenir les cadeaux qu’on leur fait.

Le chef de ce village s’appelait Joctian ; il est venu nous rendre visite avec sa femme et sa fille, et, pendant qu’il était assis sur un divan de notre cabine, j’ai dessiné son portrait, dont il a été enchanté. Comme je lui demandais à quoi pouvait lui servir son bracelet à