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blanc, mais amer, en constitue la principale denrée commerciale.

Les canots dont on se sert sur la rive orientale, sont insuffisants pour entreprendre en ligne droite la traversée du lac, que les plus vigoureux rameurs ne peuvent effectuer qu’en trois ou quatre jours ; mais, sur la rive occidentale, de fortes embarcations entreprennent ce voyage pour venir trafiquer à Mégoungo. Cette rive est occupée par le grand royaume de Mélegga, au sud duquel est celui de Djori. Sur le bord oriental, on trouve l’Ounyoro, l’Ouganda, l’Outourubi et le Karagoué. Ce dernier état touche au 2° de latitude sud. Là le lac tourne, dit-on, vers l’ouest, sans qu’on sache où il finit.

Il monte parfois à quatre pieds au-dessus du niveau qu’il avait lorsque nous l’avons vu. Il occupe une dépression profonde et même très-inférieure au niveau général du pays que nous avons traversé. Les affluents qu’il reçoit sont nombreux, et plusieurs doivent être considérables, car, avec un télescope, nous apercevions deux cataractes qui tombaient des montagnes et appartenaient à des cours d’eau fort importants, puisque nous les pouvions distinguer à la distance d’une soixantaine de milles.

Les crocodiles y abondent et ont une telle voracité que les femmes, quand elles vont puiser de l’eau, doivent éviter de s’y baigner jusqu’aux genoux.

La latitude de Vacovia est par 1° 15’ de latitude nord.

Pendant huit jours, nous restâmes souffrants de la fièvre dans ce village, en attendant les canots, dont on ne retardait peut-être l’arrivée que pour nous extorquer le plus de verroteries possible. Enfin, nous les vîmes arriver. C’étaient deux pauvres embarcations découvertes. Dans l’une d’elles, je pratiquai un abri, une espèce de cabine qui pouvait nous garantir, tant bien que mal, du soleil ou de la pluie. Chaque barque était manœuvrée par quatre rameurs. Nous nous y embarquâmes par une belle matinée, sur l’eau la plus calme du monde, en faisant route vers le nord, avec une provision de poulets et de poisson séché.


Le prince royal des Obbos (voy. p. 18). — Dessin de A. de Neuville.

Le plus grand nombre de mes hommes, y compris Richarn et Saat, et les négresses, avec Bachîta, étaient dans le grand canot ; ma femme et moi dans le petit, où javais arrangé la cabine. Au moment où nous prenions le large, le chef de Vacovia, qui m’avait demandé des verroteries, les jeta dans le lac, afin d’obtenir en notre faveur l’aide des divinités du lieu, qui empêcheraient les hippopotames de submerger nos embarcations.

Pendant le premier jour, le voyage fut délicieux. Le lac était calme, le ciel couvert et le paysage charmant. Quelquefois on pouvait distinguer les montagnes sur la côte occidentale, et le lac semblait avoir une étendue infinie. Nous nous tenions à moins de cent mètres du bord oriental, et de temps à autre, nous longions des bancs de sable ou des bouquets de buissons qui s’étendaient, sur près d’un mille de largeur, entre l’eau et la base des collines ; d’autres fois, nous passions au-dessous d’énormes rochers qui s’élevaient à pic à quinze cents pieds au-dessus des eaux. Alors, nous côtoyions le rivage et nous accélérions la navigation en poussant contre le roc avec des bambous. Toutes ces roches étaient de l’époque primitive, ordinairement de granit et mêlées en plusieurs endroits de porphyre rouge. Dans les interstices, croissaient de superbes arbustes de toute nuance, entre autres, des euphorbes gigantesques. Au-dessus des ravins chargés d’ombres se balançaient de gracieux dattiers sauvages, dont les panaches ressemblent à des plumes légères ; leur présence révélait toujours celle de quelque filet d’eau scintillant sous le roc et la verdure.

De nombreux hippopotames se jouaient sur les bas-fonds et, tant sur le littoral que sur les bancs de sable ou sur la grève, entre les buissons qui poussaient au-dessus de la marque des grandes crues, les crocodiles pullulaient, se chauffant au soleil.

Notre navigation se continua longtemps après la nuit tombée, et nous finîmes par atterrir non loin d’un village. Nous passâmes la nuit sur la côte ; heureusement, j’avais eu soin de faire déposer les avirons à bord des canots, car, en nous réveillant, le lendemain matin, nous trouvâmes que tous les rameurs avaient disparu et que les habitants du village s’étaient esquivés. Je défendis que personne s’éloignât. Après avoir attendu une partie de la journée, comme le temps était précieux, je fis embarquer à trois heures ; mais, nos gens ne sachant pas ramer, nous n’avançâmes guère, et ce fut avec peine que nous atteignîmes un promontoire au pied duquel se trouvait une petite grève. Nous y passâmes la nuit, au milieu d’une pluie battante, tandis que je songeais au moyen de sortir de cette impasse. Quand la matinée fut venue, malgré la pluie qui tombait toujours,