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Le 21 mai, après un séjour de plus de deux semaines à Obbo, nous repartîmes pour Tarrangollé. En route, nous tombâmes sur une bande de girafes. Ces animaux n’aiment pas les hautes forêts, qui peuvent recéler et cacher leurs ennemis. Je me mis à leur poursuite. Ils se jetèrent, après avoir traversé une plaine, dans un fourré, où j’aurais abattu un mâle sans mon cheval qui, ayant peur des coups de feu, m’empêcha de tirer, bien que je fusse à peine à dix mètres de plusieurs girafes. Enfin elles se dérobèrent dans une forêt d’épines entrelacées, et comme je me trouvais seul, à la nuit tombante, à trois milles de mes gens je cessai la chasse et revins sur mes pas.

De retour à Tarrangollé, la maladie commença à n’enlever mes bêtes de somme, et cette perte fut consommée irréparablement avant la fin de l’année, pendant notre second séjour à Obbo. Vers cette époque, pour la première fois, j’entendis parler du Mégoundo. C’était, me dit un naturel d’Obbo, nommé Ouani, un pays situé près d’un lac fort étendu, aux limites inconnues. De grands bateaux, montés par des blancs, y venaient, de contrées lointaines, apporter tous les simbis ou cauris, dont on se servait dans le Latouka.

Nous étions revenus depuis peu de jours à Tarrangollé, lorsque, sur la requête de Commoro, la bande d’Ibrahim se porta contre Kayalo. Ces nègres sont toujours à l’état de guerre et de pillage mutuels. Kayalo offrit une vive résistance, à laquelle prirent part les femmes, dont plusieurs furent tuées. Comme elles valent chacune de cinq à dix vaches, on respecte toujours leur vie, et toute la centrée fut indignée de ce que les hommes du nord n’avaient pas eu pour elles les égards accoutumés. Pourtant la bande d’Ibrahim, repoussée avec perte d’un homme, dut se contenter d’emmener pour butin deux mille têtes de bétail.


Femme de la tribu des Obbos. — Dessin de A. de Neuville.

Suivant la règle, deux tiers de ce bétail revenaient à Courchid ; le reste fut partagé entre les gens de sa bande, qui le troquèrent suivant les besoins ou le caprice de chacun.

Cette razzia avait augmenté l’hostilité des Latoukiens centre les blancs ; aussi, quand Ibrahim envoya l’ordre à ses gens de revenir le trouver à Obbo, me fallut-il suivre leur mouvement. Nous revenions à Obbo vers la fin de juin, et l’humidité me donna la fièvre, ainsi qu’à ma femme. Durant notre maladie, la hutte ou nous demeurions fut tour à tour infestée de rats, de fourmis blanches et de serpents ; puis de mouches, de moustiques et de punaises innombrables ; enfin de scarabées énormes.

Le 18 juillet, Ibrahim, voulant faire une expédition dans le pays de Madi, les hommes d’Obbo, décidés à y prendre part, célébrèrent leur danse de guerre. Généralement ils étaient zébrés de raies rouges et blanches ; parfois ces couleurs formaient d’autres dessins. Chaque guerrier était coiffé d’ornements de très-bon goût en cauris, et de panaches de plumes d’autruche retombant sur les épaules (voy. p. 36). Après la danse, Katchiba, par un long discours fort énergique, excita l’ardeur martiale de ses sujets ; mais, quand il fut seul avec moi, il déplora la conduite d’Ibrahim, qui attirerait infailliblement la ruine sur l’Obbo ; car, après son départ, les hommes de Madi