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terre, on trouve du fer d’excellente qualité. Aussi les Latoukiens sont-ils d’habiles forgerons, malgré l’état primitif de leurs instruments. Une branche fourchue de bois vert leur sert de pinces ; des pierres de dimensions différentes, voilà l’enclume et le marteau ; pour faire leurs soufflets, ils prennent deux pots d’un pied de profondeur à peu près ; au fond de chacun, ils adaptent un tube en terre d’environ deux pieds de long, dont une extrémité est insinuée dans un feu de charbon de bois ; les pots ont leur orifice recouvert d’un cuir lâche, fort souple, bien enduit de graisse, au centre duquel est noué, à angle droit, un bâton long de quatre pieds ; à ces deux bâtons, le souffleur imprime un mouvement perpendiculaire très-rapide et qui produit un fort courant d’air. C’est avec ces outils que les Latoukiens produisent des fers forgés qui étonneraient nos ouvriers anglais.

Ils font d’excellentes molottes, c’est-à-dire des houes de fer, scrupuleusement éprouvées, soigneusement taillées en cœur, comme les bêches de nos mineurs, et dont le manche a ici de sept à dix pieds de longueur. Comme cet instrument est le seul que ces sauvages emploient à l’agriculture, il est fort estimé par eux. Le long du Nil Blanc et jusqu’à l’Ounyoro, les molottes forment le principal objet d’échange, soit contre l’ivoire ou contre des bœufs. Sans molottes ou sans femmes à troquer, il est à peu près impossible, dans cette région, de se procurer du bétail ; aussi ces articles d’échange forment-ils une des portions les plus recherchées du butin qu’on se propose d’obtenir par les razzias.


Baker poursuivi par un éléphant blessé.

Plusieurs fois durant mon séjour dans le Latouka, j’ai eu occasion de chasser des éléphants sans en pouvoir tuer beaucoup, quoiqu’ils y soient assez nombreux. Un jour qu’Adda, le troisième chef de Tarrangollé, s’était enrôlé à mon service pour une battue, nous rencontrâmes une grosse bande de ces animaux ; j’en blessai un deux fois en galopant ; mais ma poursuite ne me laissait pas le loisir de recharger mon arme : la bête se tourne sur moi, je me sauve ; un de mes gens n’apporte une carabine avec laquelle je blesse une troisième fois l’éléphant à l’omoplate ; il fond sur moi, je n’esquive et me trouve en face d’une colonne serrée de dix-huit éléphants. J’en poursuis un sans réussir à l’atteindre ; mais, en revenant sur mes pas, je rencontre mon blessé, qui me charge ; je le poursuis encore près de deux heures ; enfin je le blesse de nouveau, il s’élance furieux sur moi ; tous mes gens m’avaient abandonné ; mon cheval était rendu de fatigue, et je ne réussis à m’échapper qu’en trompant l’éléphant par un heureux détour. Cet animal mourut dans la nuit. Les habitants de Tarrangollé mangèrent sa viande et ceux de Ouakkala m’évitèrent la peine d’emporter ses défenses.

Traduit de l’ouvrage de sir Samuel Baker par

J. Belin de Launay.

(La suite à la prochaine livraison.)