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Depuis lors les eaux de Vic ont été l’objet de nombreuses monographies médicales ; la plus curieuse, si non la plus savante, est certainement celle du docteur Jean Mante, contemporain des médecins de Molière. Nous ne pouvons résister au désir d’emprunter quelques passages à ce petit livre, imprimé en 1648, ne serait-ce que pour constater quels étaient dans les provinces reculées de la France le style et l’orthographe des hommes de science, alors que le monde littéraire était déjà régenté par Balzac et Voiture, que s’essayaient Pascal et Sévigné, et qu’à Paris, depuis longtemps, le grand Condé, « avait pleuré aux vers du grand Corneille. »

« … Au pied des montagnes du Cantal, tant renommées parmi notre France pour la fertilité que nature les a douées de bons pacages, dont une infinité de gros bestial est entretenu, rapportant aux habitans et voisins, un indicible profit : et tyrant sur le midy, se présente un vallon de quatre à cinq lues d’estendue, et d’une lue ou environ en largeur, autant fertil en bleds, et orné de si belles prairies qu’autre qui soit en tout le haut Auvergne, lesquelles sont arrosées d’un salubre ruisseau appelé Cère, fort abondant en belles et bones turittes : mais encore sont plus grand ornement est la ville de Vic, les habitans de laquelle sont personnes fort affables, civils et courtois aux estrangers, parmi lesquels y a des gens doctes en jurisprudence pour estre la dite ville le ressortiment des appeaus de tout le Carladois.

« À une promenade de la ville, il y a une fort belle et grande prerie qui avoisine le penchant d’une montagne couverte de bois taillis appelé Sauve-Roque au milieu de laquelle depuis huit ou dix ans on a descouvert une fontaine, laquelle a grands bouillonemens reialist au pied de la montagne de Suroque à la pleine et à l’endroit que le bois taillis finit, fait claire en sa consistance diaphane, froide au boire, et au goust piquante, aigrette, avec quelque degoust un peu facheux au commencement : et le commun du peuple abusant de la distinction du goust l’appeloit la fontaine salée, laquelle aujourd’hui, comme estant la plus grande rareté de ce qui avoisine la ville de Vic, à bon droict on appelle les eaux de Vic.

« Pour sa situation suivant le jugement d’Hyppocrates, au livre auquel il discourt de l’aër, des eaux et des lieux, elle est à sa perfection, estant du costé d’orient, tyrant un peu sur le midy : qu’est la cause pourquoy les beuveurs délicats, qui ne peuvent quitter les délices du lict molet, pour se lever de bon matin sont incommodez du bâle du soleil à leur grand regret.

« Il semble que nature a voulu inviter par la beauté et commodité du lieu un chacun à l’usage de ses eaux, car les promenades de beuveurs, sont si bien a propos qu’il seroit presque impossible avec l’art des meilleurs artisans, de mieux disposer toutes les commodités nécessaires. »

Nous nous bornerons à ces citations, nous gardant bien de suivre le docteur J. Mante dans les détails par trop médicaux dont il accompagne ses descriptions pittoresques. Son époque « bien souvent dans les mots bravant l’honnêteté, » semble avoir ignoré cette délicatesse des nerfs olfactifs qui distingue si éminemment la nôtre. Cette vertu, dit-on, peut survivre à bien d’autres ; c’est possible mais je suis trop heureux d’en constater l’existence vivace parmi mes contemporains, pour que je sois enclin le moins du monde à lui manquer de respect.

Les eaux de Vic attirent chaque été dans cette petite ville quelques centaines de malades et quelques dizaines de mille francs. C’est peu, en regard de leurs qualités au moins égales à celles qui ont rendu si célèbres les sources de Spa, de Marienbad, de Pyrmont, d’Ems et de Bussang. C’est moins encore, en regard de la beauté de la localité, centre charmant, d’où le touriste et le convalescent peuvent rayonner en quelques heures vers des points ou les bassins de la Jordanne, de la haute Cère et la sombre ravine du Goul, recèlent quelques-uns des traits les plus saisissants, les plus franchement pittoresques du sol français.

Aussi les habitants actuels de Vic comptent-ils beaucoup pour développer la renommée de leurs eaux et partant, la fortune de leurs foyers, sur le chemin de fer, déjà en voie d’exécution entre Aurillac et Murat et qui projette déjà, en taches indélébiles, sa levée et ses remblais sur la zone la plus riche de la vallée, et ses maussades tranchées à travers les contre-forts les mieux boisés de la montagne. Hélas ! ce que gagneront ces braves gens à une communication plus rapide et plus multipliée avec les grands centres est fort incertain ; ce qu’ils perdront n’est pas douteux. Les quelques parcelles d’or que laisseront sous leurs toits les visites des oisifs et des aventuriers de Paris et de Londres, compenseront-elles seulement la suie immonde, déposée par la fumée des tenders sur la verdure jusqu’ici immaculée des prés et des ombrages de la Cère ? Je suis heureux de les avoir contemplés avant l’invasion de la mode, toujours suivie de souillures.

Voyez plutôt, hélas ! ce qui a lieu ailleurs, dans d’autres sanctuaires de l’écorce terrestre, annuellement fréquentés par la tourbe du grand et du demi-monde.

« Aussitôt que les baigneurs arrivent, tous ces sentiers, raffermis et déblayés à la hâte, se couvrent de caravanes bruyantes ; le village retentit du son des pianos et des violons ; les prairies s’éraillent d’os de poulets et de bouteilles cassées ; le bruit des tirs au pistolet effarouche les aigles ; chaque pic un peu accessible devient une guinguette où la fashion daigne s’asseoir pour parler turf et spectacle, et l’austère solitude perd irrévocablement, pour les amants de la nature, ses profondes harmonies et sa noblesse immaculée. » (Georges Sand.)

Tout misanthrope que je paraisse, je ne suis pourtant pas disciple si fervent du vieux Timon, que je ne refuse un avis utile à qui en a besoin. Or, si parmi mes bons amis de Paris, que la vapeur et la vogue réunies entraîneront bientôt aux eaux de Vic, se trouvait, d’aventure, quelque invalide des mœurs modernes, quelque blessé du luxe, condamné sans repos ni trêve aux travaux forcés