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élevé dans sa course pour que nous pussions faire une entrée qui nous portât bonheur, nous nous dirigeâmes vers la ville, cachée au milieu d’un bosquet de bananiers et d’autres arbres des tropiques d’une végétation luxuriante. Les rues, larges et droites, contrastent complétement avec celles des Béchuanas, qui sont des plus tortueuses. C’est là que nous vîmes pour la première fois des huttes carrées, à toiture ronde, construites par des indigènes. Les palissades, ou plutôt les murailles qui renferment les cours, sont merveilleusement alignées ; elles se composent de perches dressées à quelques pouces de distance les unes des autres, et cette distance est remplie avec de grandes herbes ou des broussailles feuillues soigneusement enlacées. Nous avons trouvé dans ces enclos de petites plantations de tabac, de canne à sucre, de bananiers, et une solanée dont les Balondas sont extrêmement friands. Les perches qui forment les palissades reprennent souvent racine, et les arbres de la famille du ficus indica sont plantés à l’entour, afin de procurer de l’ombre aux habitants, qui ont d’ailleurs pour ces arbres une sorte de vénération. Des chèvres broutaient çà et là autour des huttes, et lorsque nous apparûmes, une foule de nègres, tous complétement armés, se précipitèrent vers nous comme s’ils avaient voulu nous dévorer. Quelques-uns avaient des fusils, mais la manière dont ils les portaient montrait suffisamment qu’ils étaient plus habitués à se servir de l’arc et des flèches qu’à manier les armes des blancs ; enfin, après nous avoir entourés et regardés pendant une heure, ils commencèrent à se disperser.

Deux mulâtres portugais dont nous avions entendu parler en route avaient érigé leur camp vis-à-vis de l’endroit où nous devions établir le nôtre. L’un d’eux, qui était contrefait, chose rare dans ce pays-ci, vint nous faire une visite que je lui rendis le lendemain matin. Son compagnon, un homme de grande taille, était d’un jaune maladif qui le faisait paraître plus blanc que moi ; mais il avait la tête garnie d’une couche épaisse de laine qui rendait toute méprise impossible. Ces mulâtres possédaient une bande de jeunes filles qu’ils tenaient enchaînées, et qui arrachaient avec une houe les grandes herbes dont le sol était couvert en face de leur bivac. Ils arrivaient du pays de Lobalé où ils avaient acheté leurs esclaves ; ils étaient en outre accompagnés d’un certain nombre de Mambaris, et tout cela était conduit militairement, au son du tambour et de la trompette, suivant le système des colons portugais. C’était la première fois que les gens de ma suite voyaient des esclaves enchaînés. « Ce ne sont pas des hommes, s’écriaient-ils (voulant dire par la que c’étaient des animaux), ce ne sont pas des hommes qui traitent leurs enfants de la sorte. »

Les Balondas sont de véritables nègres, ayant sur la tête et sur le corps une plus grande quantité de laine que pas un Cafre ou un Béchuana. Ils sont en général d’une couleur très-foncée ; on en trouve cependant quelques-uns dont la peau est d’une teinte assez claire. Une grande partie des esclaves qui ont été jadis exportés au Brésil étaient nés dans cette région du continent africain ; mais, en dépit de la ressemblance qu’ils ont dans leur ensemble avec le nègre typique, je n’ai jamais pu croire, après de longues observations, que l’idée que nous nous faisons du nègre, tel qu’il est représenté chez les marchands de tabac, réponde au type véritable de la race africaine. Un grand nombre de Balondas ont assurément la partie antérieure et postérieure de la tête un peu trop développée du front à l’occiput, le nez épaté, de grosses lèvres, l’os du talon trop allongé, etc., etc. ; mais aussi beaucoup d’entre eux ont de beaux visages, la tête bien faite et le corps parfaitement conformé.

Mardi 17 janvier. — Vers onze heures, nous fûmes admis auprès de Shinté, qui nous honora d’une réception royale. Il était galamment attifé d’une profusion de verroteries, et avait un habit tellement long, qu’un enfant le relevait par derrière, comme un page qui porte la queue d’un manteau. Les mulâtres portugais et les Mambaris vinrent avec leurs armes pour honorer Shinté d’une salve de mousqueterie : leurs tambours et leurs trompettes faisant d’ailleurs tout le tapage que ces vieux instruments étaient capables de produire. La kotla, ou place d’audience, avait environ cent mètres carrés. Deux gracieux spécimens d’une sorte de banians s’élevaient en face l’un de l’autre à l’une des extrémités de la kotla ; sous l’un de ces arbres on avait érigé une espèce de trône recouvert d’une peau de léopard, et sur ce trône siégeait Shinté, vêtu d’une jaquette à carreaux et d’un petit jupon rouge liséré de vert. Il avait au cou de nombreux colliers de verroterie, et ses bras et ses jambes étaient couverts d’anneaux de cuivre et de fer ; il portait sur la tête une sorte de casque formé de chapelets de verroterie artistement enlacés, et dont le sommet était couronné d’une grosse touffe de plumes d’oie. Auprès du trône étaient assis trois jeunes garçons, ayant chacun un faisceau de flèches sur leurs épaules.

Lorsque nous entrâmes dans la kotla, tous les gens de notre suite saluèrent Shinté en frappant dans leurs mains, et le chef de l’escorte lui rendit hommage en se frottant la poitrine et les bras avec des cendres. La place que recouvrait le second arbre était inoccupée ; j’allai m’y asseoir pour profiter de son ombre, et toute ma suite en fit autant. Nous étions et peu près à quarante pas du chef : il nous était donc facile de voir toute la cérémonie. Les différentes sections de la tribu s’avancèrent de la même façon que nous l’avions fait, et celui qui conduisait chacune d’elles salua Shinté en se frottant avec des cendres dont il s’était muni. Vinrent ensuite les soldats, qui, tous armés jusqu’aux dents, accoururent vers nous, l’épée haute, en poussant des cris affreux et en donnant à leur visage l’expression la plus féroce qu’ils purent imaginer, afin, pensai-je, d’essayer de nous faire prendre la fuite ; mais quand ils virent que nous ne bougions pas, ils firent volte-face et se retirèrent après avoir salué Shinté. Lorsque tout le monde fut arrivé et que chacun fut assis, on commença