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sée de Makalakas appartenant à diverses tribus, qui ont leurs chefs respectifs de la même race que la leur, et qui néanmoins, soumis à l’autorité d’un petit nombre de Makololos, sont gouvernés par Moriantsané, beau frère de Sébitouané.

Assis à l’ombre d’un grand acacia au bord du fleuve, je parlais souvent, en public, aux habitants de Séshéké. C’était un beau spectacle à voir que cette longue file d’individus, hommes, femmes et enfants, qui, sous la conduite de leurs différents chefs, formaient un auditoire de cinq à six cents personnes. Cet auditoire me prêtait une oreille attentive, et Moriantsané, voyant une fois quelques jeunes gens qui, au lieu d’écouter, examinaient un kaross ou manteau de peau, leur jeta son bâton à la tête, afin de me prouver l’intérêt qu’il prenait à mes paroles.

Souvent mes auditeurs m’adressaient les questions les plus sensées ; d’autres fois ils m’entretenaient des choses les plus frivoles au moment où je venais de leur parler des sujets les plus graves. Quelques-uns priaient en secret le Dieu des blancs, qui, je n’en doute pas, écoutaient leurs prières, tandis que les autres passaient la nuit à se rappeler ce qu’ils avaient entendu à l’égard de la vie éternelle, et profondément effrayés de ce qu’ils venaient d’apprendre, ils formaient la résolution de ne plus croire aux discours du docteur ; le nombre de ces derniers était considérable ; et j’ai vu dans le midi de l’Afrique les habitants de certains villages mettre à mort tous les coqs, pour ne pas entendre le chant de ces oiseaux qui, au matin, les appelait à la prière.

Depuis notre passage à Morémi, bourgade située sur les bords du Chobé, j’avais presque toujours la fièvre, que je devais garder longtemps encore ; dès que je fus à peu près rétabli du dernier accès qui avait été fort grave, je songeai au départ, et j’envoyai quelques-uns de mes hommes en avant pour qu’on nous préparât des vivres dans les villages où nous devions passer. Je fis prendre aux gens de ma suite quatre défenses d’éléphant qui provenaient des dons de Sékélétou, afin de comparer la valeur qu’elles pourraient avoir sur la côte d’Angola avec le prix qu’en donnaient les trafiquants du Sud. Nous reçûmes de Moriantsané une abondante provision de miel, du lait et de la farine, et je m’embarquai de nouveau, accompagne de ma suite. La saison des pluies commençait alors dans cette région ; et bien qu’il tombât chaque jour des ondées suffisantes pour abattre la poussière, le niveau du fleuve ne s’élevait pas encore ; mais le Liambye n’en avait pas moins trois cents mètres d’eau courante dans sa moindre largeur.

Les bords du fleuve s’embellissent au fur et à mesure qu’on le remonte. Les arbres déploient plus largement leurs feuilles, dont le vert tendre chez un grand nombre forme un heureux contraste avec les sombres ramures de quelques autres, toutes chargées de baies roses de la grosseur d’une cerise.

Les rapides ont beaucoup moins d’eau que dans les autres saisons, et il est très-difficile à nos pirogues de les franchir ; toutefois nos canotiers font des merveilles et sont toujours de bonne humeur ; ils s’élancent dans l’eau sans hésiter, pour empêcher nos esquifs d’être emportés par le ressac ou brisés sur les rochers ; il leur faut une adresse incroyable pour glisser entre les rocs à peine recouverts d’eau.

De nombreux iguanes, appelés mpoulous par les indigènes, se chauffent au soleil, sur les branches qui dominent le cours du fleuve, et plongent précipitamment dès qu’ils nous aperçoivent ; leur chair, tendre et gélatineuse, est très-estimée des naturels, et mon premier rameur tient à la main sa javeline pour frapper ceux de ces animaux qui ne disparaissent pas trop vite. À chaque détour subit du fleuve, de gros alligators, que nous effrayons tout à coup, glissent du rivage et tombent lourdement au fond de l’eau.

Entre Katima-Molélo et Nameta, les rapides, beaucoup moins rapprochés, sont éloignés de quinze à vingt milles les uns des autres ; l’eau profonde qui les sépare renferme de grands troupeaux d’hippopotames, et l’on voit partout sur la rive les sillons creusés par ces animaux lorsqu’ils vont paître chaque nuit. Une fois sortis du fleuve, c’est par l’odorat qu’ils retrouvent l’endroit où il est situé ; mais lorsqu’il a plu pendant longtemps, il leur est impossible de retrouver leur chemin, et ils deviennent bientôt la proie du chasseur qui profite de leur détresse.

Je ne pourrais pas dire le nombre d’hippopotames dont l’une de ces bandes est composée, car ils sont presque toujours cachés sous l’eau ; mais à en juger par les têtes qui se montrent successivement à la surface du fleuve afin d’aspirer l’air, j’ai tout lieu de penser que leurs troupeaux sont nombreux. Ils recherchent les endroits où la rivière est paisible, afin de n’avoir pas à lutter contre le courant qui les entraînerait et de pouvoir dormir tranquillement. Ils passent toute la journée à sommeiller et à bâiller sans rien voir autour d’eux, bien que leurs paupières soient ouvertes.

Pendant son premier âge, le petit de l’hippopotame se tient sur le cou de sa mère, et celle-ci, connaissant le besoin que le jeune amphibie a de respirer plus souvent qu’elle, paraît fréquemment à la surface de l’eau. C’est un animal qui a peu d’intelligence ; toutefois la crainte du danger développe chez lui une certaine réflexion. Dans le Zambèse, il respire à pleine poitrine, la tête complétement sortie du fleuve, tandis que plus au nord, dans les rivières du Londa, où on lui fait une chasse active, il se tient caché au milieu des plantes aquatiques, ne met à l’air que ses naseaux, et respire si doucement qu’on ne se douterait pas qu’il existe, sans les empreintes que ses pieds ont marquées sur la rive.

30 novembre 1853.Aux chutes de Conyé. Il n’est pas tombé de pluie dans ce pays-ci, et la chaleur y est extrême. Les feuilles des arbres et les fleurs nombreuses qui embellissent le paysage se flétrissent et s’inclinent vers le milieu du jour ; toute la végétation est languissante, un peu d’eau lui rendrait sa vigueur ; et si la beauté du pays s’accroît encore, ainsi qu’elle l’a fait depuis les quatre derniers degrés de latitude que nous avons franchis, nous arriverons à une terre en-