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ment abouti, si la balle, qui avait fait une première victime, n’en eût fait une seconde en pénétrant à travers les parois d’une hutte ; la seconde victime se trouvait être la sœur de celui des indigènes qui s’était montré le plus disposé à entrer en accommodement. Le tambour de guerre retentit de tous côtés ; les voyageurs durent opérer à travers le village une retraite dans laquelle fut abandonnée la partie la plus précieuse des bagages. Autour d’eux volait une grêle de flèches. Du Chaillu et l’un des siens furent blessés. Une fois arrivés dans les sentiers de la forêt, les hommes de son escorte, pris de panique, jetèrent tout ce qu’ils portaient pour fuir plus rapidement. Du Chaillu, qui tenait l’arrière-garde avec celui qui avait été cause de l’accident, eut la douleur de voir ses instruments, ses collections, ses photographies, ses cahiers de notes, joncher le terrain et perdus sans ressources. Dans cette partie de la fuite il reçut une seconde blessure faite par une flèche empoisonnée, qui porta heureusement sur la ceinture de son revolver. Après ces événements et diverses autres péripéties, l’expédition regagnait, à la fin du mois de septembre, le rio Fernan Vaz.


III


Un des projets de du Chaillu, si sa pointe vers le Tanganîka ne devait pas réussir, avait été de se tourner vers le nord-est pour aller gagner l’équateur dans la direction du haut bassin du Nil, pensant avec raison qu’une exploration faite sur cette ligne, qui pourrait aller rejoindre les reconnaissances du fleuve Blanc en coupant obliquement les affluents supérieurs du grand fleuve, conduirait nécessairement à des découvertes considérables. La pensée était bonne et digne de tenter un explorateur dévoué ; pourquoi du Chaillu paraît-il l’avoir complétement oubliée après son retour forcé de l’Ogovaï ? Mais voici qu’elle se représente d’une manière plus sérieuse et probablement plus ferme, chez un homme qu’une vocation décidée pousse à son tour vers la gloire périlleuse des explorateurs. M. Le Saint, un homme jeune encore, plein de feu et d’énergie, que la carrière militaire, où il a conquis le rang de sous-officier, a préparé aux épreuves de la vie de voyageur, veut remonter le Nil jusqu’au-dessus de Kartoum, et probablement au confluent du Bahr el-Ghazal ; et de là se jetant vers le sud-ouest dans la direction du Gabon, s’enfoncer résolument dans la région que l’expédition des dames Tinné a explorée à demi à travers tant de tribulations.

Le projet est hardi, et semé de dangers ; mais, après tout, il n’est ni plus audacieux ni plus dangereux que bien d’autres entreprises analogues qui ont réussi, — réussi en partie à cause de leur hardiesse même.

Lorsque Barth, le grand explorateur, conçut la pensée de se jeter seul dans le Soudan occidental jusqu’à Timbouktou, et de faire connaître a l’Europe une région jusque-là fermée aux Européens, il affrontait des périls aussi grands que ceux que veut braver M. Le Saint, et cependant il est arrivé. Comme Barth dans ce voyage de Timbouktou, M. Le Saint est seul : c’est peut-être une chance de plus pour la réussite. Dans de pareilles entreprises, il y a souvent plus d’avenir pour une aventure, quand celui qui la tente est fort et résolu, que pour une expédition nombreuse et préparée à grands frais, telle que l’expédition princière des dames Tinné, ou bien encore celle où vient de périr si déplorablement le regrettable baron de Decken. Burkhardt aussi était seul ; et Mungo Park, et Hornemann, et tant d’autres grands voyageurs qui ont forcé l’entrée de l’Afrique dans toutes les directions, étaient seuls. M. Le Saint, qui s’est adressé à la Société de Géographie de Paris, au mois de janvier dernier, pour lui demander des instructions, est d’ailleurs en excellentes mains. M. Antoine d’Abbadie, l’illustre explorateur, s’est chargé de compléter l’éducation du voyageur ; car une pareille traversée qui ne serait pas jalonnée de bonnes observations astronomiques et physiques, perdrait la plus belle partie de ses résultats.


IV


M. Le Saint, notre futur explorateur de l’Afrique équatoriale, — nous aimons à le saluer de ce titre, — fait songer à M. Gerhard Rohlf qui parcourt en ce moment le nord de l’Afrique. Il y a entre eux plus d’une analogie. Jeunes tous les deux et pleins de la même ardeur, tous deux sortent des rangs de notre armée d’Afrique[1], et se sont sentis entraînés par le même enthousiasme vers la carrière aventureuse des explorateurs. Le premier plan de M. Rohlf, il y a cinq ans, avait été d’accomplir le voyage d’Alger à Timbouktou par le désert. Familiarisé avec la langue et les habitudes arabes au point de tromper les Bedouins eux-mêmes, il a essayé à deux reprises de réaliser ce voyage hasardeux ; et si des obstacles plus forts que sa volonté l’ont arrêté à mi-chemin, il reste au moins de sa tentative un itinéraire plein de faits nouveaux, et d’un grand intérêt géographique sur le massif occidental de l’Atlas et le Sahara marocain, c’est-à-dire sur des parties de l’Afrique où jusqu’à présent aucun voyageur n’avait pénétré. Retourné en Afrique au commencement de l’année dernière, le voyageur avait cette fois en vue deux buts également importants pour la géographie et l’ethnographie africaines, et vers lesquels il devait se diriger selon les circonstances : ou les montagnes encore inexplorées d’Ahaggar, centre principal de la belliqueuse population des Touareg au sud de notre Sahara algérien, ou la contrée des Tibboû, à l’est du Fezzan et au sud du Barkah, également vierge d’explorations européennes. Une première tentative sur l’Ahaggar a été arrêtée par l’état de guerre intestine où le voyageur a trouvé les tribus ; il s’est replié sur Mourzouk, dans le Fezzan, où il attendait, aux dernières nouvelles, une caravane à laquelle il pût se joindre pour s’avancer dans le sud

  1. Gerhard Rohlf, Allemand d’origine, a servi dans la légion étrangère.