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Mégère fut réintégrée dans sa cage dont les barreaux avaient été doublés… Si l’on veut voir Mégère aujourd’hui, qu’on prenne le chemin de fer qui conduit à Brest : elle est visible tous les jeudis au jardin des plantes ; les étrangers peuvent obtenir une entrée de faveur. Elle a beaucoup grandi ; sa robe est mouchetée avec une rare régularité. Mais si elle est douée d’un extérieur agréable, elle est toujours restée mauvaise au moral. Je vais quelquefois lui rendre visite. Elle me reconnaît… car elle a voulu me mordre.

La chasse à la Guyane se divise en deux catégories bien distinctes : la chasse en plaine ou savane, la chasse en forêt. La chasse en savane se fait au chien d’arrêt. La chasse en forêt se fait au chien courant, et même sans chien, à la manière indienne, c’est-à-dire à l’affût sous les hautes futaies (voy. p. 328).

Les savanes des grandes prairies sont ceintes d’arbres et émaillées de marécages ou pri-pris. L’hiver les inonde, l’été les dessèche. Le meilleur moment pour les aborder, c’est quand les premières pluies ont détrempé la terre, ou lorsque les rayons du soleil ont pompé le gros de l’inondation hivernale. Alors elles sont fréquentées par les bécasses, les bécassines, les râles et autres oiseaux de marais. La marche y est pénible, les herbes sont par touffes, entre lesquelles les eaux ont tracé de tortueux et humides sillons. Quelques-unes de ces savanes servent


Un rendez-vous de chasse dans les grands bois. — Dessin de Riou d’après une aquarelle de M. Bouyer.


de pâturages, la plupart sont sans emploi. Elles sont, en général, fort éloignées des établissements. Ainsi, partant de Cayenne, il faut quatre heures environ par mer ou par terre pour se rendre sur le lieu de chasse. Il faut donc partir de nuit pour arriver au jour, car après dix heures du matin la chaleur devient trop accablante, et dans la Guyane les auberges brillent par leur absence. Quant aux bivouacs nocturnes, ils sont dangereux pour la santé : experto crede Roberto. Qu’il me suffise d’affirmer qu’il n’est guère de savanes sur les bords du Tonnégrande (voy. p. 321), du canal Laussat, de la Comté et des mille autres canaux qui découpent la Guyane, que je n’aie parcourues en tous sens.

Ma première excursion m’avait affriandé. Nouveau débarqué à Cayenne, j’avais l’enthousiasme, j’avais la foi. Aujourd’hui que le souffle des déceptions a fait vasciller ce divin flambeau, il faudrait peu de chose pour le ranimer encore.

Mon canot me conduisit de l’autre côté de la rade, à la pointe Macouria, nommée aussi pointe aux Moustiques. J’y avais fait connaissance d’un compagnon de chasse. C’était le brigadier de gendarmerie. Je me présentai muni d’une lettre de recommandation de son chef d’escadron. Billet laconique, portant écrit : Bon pour un cheval. La consigne fut exécutée littéralement. Nous partîmes quatre, le brigadier, son chien, le cheval et moi.