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arrivés à la finale du couplet, ils prolongent indéfiniment la voix en décrescendo et par saccades, et ils renforcent la dernière mesure.

Le jeu de l’instrument et le chant sont accompagnés d’expressions de physionomie, de gestes et de contorsions incroyables.

Souvent les Turcomans me demandaient si dans mon pays on chantait aussi bien et avec autant de grâce que chez eux. — Assurément non, étais-je obligé de répondre, ce qui les flattait beaucoup et les amenait à critiquer la manière de chanter des Persans, qui, suivant eux, chantent de tête et d’une façon désagréable.

Le barhchi (musicien, artiste de profession) a ses manières et son genre. Il affecte une allure plus dégagée que les autres ; sa barbe est soignée ou épilée selon sa fantaisie ; son costume est plus propre et plus recherché, son talbak ou coiffure est à la dernière mode, et ses bottes sont plus fines. Partout où il va, il est très-bien reçu, et passe avant tout le monde ; c’est à lui qu’on offre le premier le thé, la pipe ; en un mot il tient la première place.

Quoique très-bien payé, il se fait prier et n’a pas toujours, dit-il, le temps d’aller faire de la musique. Lorsqu’on a besoin de lui, on ne le fait pas prévenir simplement. Deux ou trois personnes montent à cheval, vont lui faire une visite et le prient de vouloir bien leur faire l’honneur de passer la soirée chez eux. On lui offre un cheval de main pour l’emmener et le ramener, tout en lui faisant comprendre qu’il recevra un cadeau digne de son talent. Dès son arrivée, le barhchi a des affaires, il a quelqu’un à voir, il fait attendre tout le monde à l’heure du repas ; après le dîner, il se plaint, il est indisposé, il lui faut un peu de repos ; tout le monde l’entoure de soins, on lui fait le thé le meilleur et le plus sucré possible, et on attend avec anxiété le moment de son réveil.

Une fois réveillé, il en prend à son aise, et se fait aider pour la fabrication de ses cordes en soie. On se sert pour cela d’une soie très-longue et légèrement collée, que l’on dévide de la longueur et de la grosseur voulue pour la corde, puis on tord le tout avec les mains. Quand les cordes sont tendues sur l’instrument, il se passe encore quelque temps avant que le barhchi se soit mis d’accord et ait préludé avec un autre musicien qui ne fera que l’accompagner. Enfin les deux exécutants se placent en face l’un de l’autre, de manière à se toucher les genoux. Le chant commence, on prête une grande attention, tous sont ravis et attendent à peine la fin du couplet pour éclater en bravos et en encouragements. C’est à qui offrira au barhchi le tchélèm et le thé. À mesure que la soirée s’avance, les musiciens s’animent ; ils ne s’arrêtent plus ; on guette le moment d’une légère interruption pour leur porter aux lèvres le bol de thé et le