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Vis-à-vis du palais des Tolomei, au centre de la petite place qui porte le nom de cette famille, s’élève une colonne surmontée de la louve qui nourrit les deux jumeaux (voyez page 28). C’est le blason de Sienne, qui, fière d’avoir été colonie romaine, a placé en divers autres endroits cet emblème de la mère patrie[1].

L’hôtel de la Préfecture, situé au centre de la ville, près de la place du Camp, passe pour avoir été dessiné par Bernardo Rosellino. Ce superbe palais en pierre, qui rappelle beaucoup le Palazzo Strozzi de Florence, appartenait jadis aux Piccolomini. Au centre de sa façade on voit les armes et les noms des deux papes de cette famille, Pie II et Pie III. Commencé en 1469, il n’était pas encore achevé en 1500.

Ce fut Pie II qui fit élever près de son palais la belle loge qu’on appelle encore del Papa. La première colonne en fut posée le 18 mai 1462. On croit que Federighi en a été l’architecte.

On donne à un autre beau palais le nom delle Papesse, à cause peut-être de Catherine, sœur de Pie II, qui le fit bâtir en 1460 par Bernardo Rosellino. Federighi et Urbano da Cortona y ont aussi travaillé.

Le Palazzo Gori Gandellini, dans la rue de Camollia, fut dessiné, en 1677, par G. Fontana, selon la volonté du pape Alexandre VII, qui en fit cadeau à sa nièce Olympie, mariée à un Gori. On admire dans cette habitation princière une sainte Catherine de Guido Reni, et une belle et nombreuse collection de gravures anciennes, allemandes, françaises, italiennes et flamandes.

Une maison, Gori Gandellini[2], d’une apparence beaucoup plus modeste, a été habitée par Alfieri. Francesco Gori était le plus cher, et le plus estimé de ses amis. Alfieri venait souvent le voir à Sienne ; il demeurait chez lui des mois entiers, retenu par le charme d’un petit cénacle de personnes de goût et d’esprit, qui se groupait autour d’une femme aimable et intelligente, Teresa Mocenni. Le caractère doux et affectueux des habitants dompta l’humeur sombre et farouche du poëte, ce qui lui fit dire qu’il avait laissé à Sienne la quatrième partie de son cœur. Il aimait la pureté de la langue qu’on parle dans cette ville ; et dans ses fréquents voyages il se faisait toujours suivre par un secrétaire et deux domestiques siennois qu’il appelait ses dictionnaires vivants. Passionné pour les courses des contrade, on dit qu’une nuit il voulut faire trois fois, à cheval et à bride abattue, le tour de la Piazza del Campo, exactement comme les fantini. On a de lui un sonnet, composé le 16 août 1783, en l’honneur de deux chevaux morts dans la course de la veille.

C’est dans cette maison de son ami qu’il écrivit, en 1777, les deux livres della tirannide, et qu’il ébaucha trois de ses tragédies. Après la mort de Gori, qui fut pour lui un rude coup, il revint encore à Sienne ; mais il ne se sentit pas le courage de repasser le seuil de cette habitation hospitalière, qu’il, appela depuis ce temps la casa del pianto.

Je n’ai pu savoii au juste quel était le palais des Salimbeni[3], où logea, en 1302, ce Charles de Valois qui, dans l’année précédente, avait fait bannir de Florence Dante Alighieri, et qui allait alors en Sicile combattre Frédéric III. L’empereur Charles IV a reçu aussi l’hospitalité des Salimbeni en 1368 et 1369 ; il fut même assiégé chez eux par les Siennois dans cette période de révolutions journalières qui faisaient la misère et la faiblesse de la république après la chute des Gibelins. Charles avait déjà mis deux fois la main dans ces petits coups d’État, et jusqu’alors fort heureusement. Le 25 mars 1355, le peuple et les nobles, excités par lui, avaient chassé du gouvernement la bourgeoisie, qui le possédait depuis soixante-dix ans ; plus tard, le 24 septembre 1368, cinq cents cavaliers qu’il avait envoyés de Lucques aux Salimbeni avaient suffi pour changer l’État au profit de ses hôtes. Au bout de deux mois, ses protégés étaient de nouveau dépossédés par le peuple. Sur ces entrefaites, l’empereur étant revenu à Sienne, Niccolò Salimbeni s’empara, le 18 janvier 1369, du palais de la République et en chassa les magistrats populaires ; le pauvre empereur venait avec sa suite prendre sa part du triomphe, lorsque le peuple, accourant en armes à l’appel du tocsin, le rencontra à la Croce del travaglio, chargea son escorte, en tua la plus grande partie, jeta à terre l’étendard impérial, et força l’empereur à rentrer en toute hâte chez les Salimbeni. Assiégé par le peuple, il dut capituler, et il s’en alla, laissant les Siennois libres de se gouverner à leur guise, en leur pardonnant même l’humiliation infligée à la dignité impériale, mais à la condition de lui payer vingt mille florins d’or.

Nous terminerons cette rapide revue des plus beaux palais de Sienne, en signalant à l’attention du touriste celui de la famille Spannocchi, dans la rue Camollia, vis-à-vis de l’hôtel Gori Gandellini. Pour le louer il nous suffira de dire qu’on l’attribue au Cronaca ou au Rosellino. C’est dans ce palais que Piero Strozzi, envoyé par Henri II au secours de la république, avait son quartier général. La misère que cette vaillante ville eut à endurer pendant le siége fut telle qu’à la table de Strozzi on mangeait de la viande d’âne et on ne buvait que de l’eau.


VI


Fontaines publiques. — Les bottini. — La rivière Diana. — Fonte-branda. — Maison de sainte Catherine. — Opinion de la sainte sur le pouvoir temporel des pontifes. — L’église et le couvent de Saint-Dominique. — Le bienheureux Sansedoni et Conradin de Souabe. — L’atelier Sarrocchi.

Sienne, placée comme elle est sur une hauteur, sans aucune source dans ses environs, a dû, dès les temps

  1. À la porte du palais de la République, aux deux côtés de la façade de la cathédrale, et ailleurs. La première, en bronze doré, a été coulée par les Turini en 1429.
  2. Via di Pantaneto, no 1854.
  3. On prétend que le palais Salimbeni est-celui qu’on appelle della Dogana, dans la rue Camollia, et qu’on a récemment restauré.