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s’opposât à cette libation ; il en but deux en nous disant : « La règle commande au moine de jeûner, mais elle lui permet de boire. »

L’église d’Argis est, dans son plan, ainsi que par la disposition de ses quatre tours qui se touchent presque, son élévation trapue, et la simplicité de ses profils à grandes saillies heurtées, l’exacte reproduction d’une châsse byzantine. Il semble que l’architecte ait pris pour modèle un de ces charmants bijoux d’orfévrerie émaillée, ornés de pierres précieuses, et qu’il se soit plu à en reproduire toutes les capricieuses recherches de détails et jusqu’aux puériles difficultés d’exécution ; ce qu’on voit par exemple, dans le dessin des ouvertures étroites contournées en spirale des deux petites tours.

Aux corniches qui sont lourdes et massives, on reconnaît quelques détails empruntés au style arabe.

Quoique riche et variée, l’ornementation en général est composée de motifs dus à des combinaisons de lignes géométriques où prédominent le cercle et le carré.

Les moines disent que les différents sujets d’ornementation, aiguilles portant la triple croix au sommet des tours, couronnes autour des dômes, patères saillantes, entre les fausses arcades, encadrements des fenêtres, cordons et corniches, sont au nombre de trois cent soixante-cinq et qu’on ne trouve dans aucun détail un agencement de lignes répété ailleurs.

Ces moines patients aiment-ils à se distraire de leurs graves méditations par la comparaison bien difficile de ces légères ciselures, dont quelques-unes sont tellement compliquées et fines comme des dentelles qu’elles échappent à toute perception nette ? Ont-ils vraiment contemplé une à une ces trois cent soixante-cinq inspirations d’un pieux artiste, semées comme autant de prières sur les murs du temple que la prière doit toujours habiter ?


Un four à Argis. — Dessin de Lancelot.


Je ne sais. Cette prodigieuse variété n’ajouterait rien d’ailleurs à la grâce naïve de l’édifice.

Ce qui me paraît merveilleux, c’est l’isolement de cette œuvre qui semble ne pas avoir emprunté le secours d’artistes étrangers. On ne se rend pas compte de l’existence d’une école d’architecture déjà avancée, à une époque où les autres arts et les sciences étaient pour ainsi dire inconnus. La construction, du reste, en est patiente et soignée plus que savante. La nef carrée et le chœur en croix massive supportent par la seule épaisseur de leurs murailles les tours et les coupoles appareillées avec la plus grande simplicité. À l’intérieur, les murs sont couverts de peinture sur fond d’or. Les sujets apocalyptiques et les figures de saints sont traités dans cette manière byzantine qui fait moins de cas des apparences de la vie que de la richesse des costumes et de l’éclat des accessoires. Le portrait de Nagu-Bassaraba, de proportions gigantesques et dépassant de la tête tous les saints, comme il convient à un si zélé bâtisseur de monastères, occupe la place d’honneur ; il est vêtu d’un riche costume hongrois, tout brodé d’or et de perles et porte au front une couronne étincelante de pierreries. Le seul détail vrai peut-être dans cette figure aux traits pétrifiés, serait la longue chevelure blonde qui lui tombe sur les épaules.

Le chœur est séparé de la nef et fermé par le catapetazma (voile du sanctuaire), lambris sculpté à jour peint de couleurs éclatantes où l’or domine et encadre les images de la Vierge et du Christ. Il est percé de trois portes. Celle du milieu qui conduit au sanctuaire n’est franchie que par le prêtre officiant, les deux autres servent aux acolytes. On sait que dans le rite grec l’hostie n’est pas consacrée à la vue des assistants. Au moment de l’élévation, le prêtre, suivi de ses deux acolytes, fait le tour de l’église, rentre dans le sanctuaire, dépose l’hostie sur l’autel et disparaît derrière le voile qui se referme.

Du haut des voûtes pendent des lustres de cuivre