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tues, nous sommes frappés d’une chose, c’est qu’en général l’homme déshabillé est un animal très-laid. Si nous pouvions voir les gens dégradés de nos basses classes dans le même état, et sans la couleur noire qui au moins produit ici l’effet d’une sorte de vêtement, il est probable que ce serait encore pis.

Nous avons suivi le cours du Zoungoué jusqu’aux highlands des Batokas ; et, gravissant les pentes rapides et rocailleuses de ces montagnes formées de quartz rouge et blanc, nous nous sommes arrêtés à plus de trois mille pieds d’élévation. La fraîcheur de l’air, son action fortifiante, le bien-être physique et moral dont nous avons joui en cet endroit étaient quelque chose de délicieux ; d’autant plus qu’au loin la plaine était couverte d’une atmosphère d’un éclat aveuglant.

De ce point on a une vue magnifique de la grande vallée du Zambèse qui apparaît comme une immense forêt parsemée de clairières, tant les parties cultivées sont peu de chose en comparaison du domaine sauvage.

29 juillet. La nuit s’est passée à une grande hauteur au bord du Tyoto, près du Chirébuéchiea ou Tabacheu, noms qui signifient tous deux « montagne blanche. » Le matin, le sol était couvert de givre ; il y avait une feuille de glace sur les étangs.

Côtoyant la pente méridionale du Tabacheu, nous avons bientôt passé plusieurs montagnes ; et regardant en arrière, nous avons vu de l’autre côté de la vallée du Zambèse à une distance de quelque trente milles, la grande chaîne qui se dirige au nord-ouest, pour rejoindre la rampe dont les chutes de Victoria forment l’angle, puis se détourne et va se perdre au nord-est.


Femmes des bords du Zambèse défrichant à la houe. — Dessin de A. de Bar d’après le Dr Livingstone.

Les Batokas ont des cimetières permanents, établis sur le flanc des montagnes ou à l’ombre des grands arbres touffus. Ils révèrent les tombes de leurs ancêtres et en décorent le chevet en y plantant de grandes dents d’éléphant ; parfois même ils les entourent du plus bel ivoire. D’autres tribus jettent leurs morts dans la rivière pour qu’ils soient mangés par les crocodiles ; ou bien les cousent dans des nattes, et les placent sur les branches d’un baobab ; il en est d’autres enfin qui les portent dans un lieu retiré, que défend une épaisse végétation et où ils deviennent la proie des hyènes ; mais les Batokas les enterrent respectueusement et tiennent désormais pour sacré l’endroit ou ils ont creusé la tombe.

Il est évident qu’ils croient à la vie future ; la persuasion que l’esprit du défunt sait parfaitement ce que font ceux qui lui survivent, et qu’il est satisfait ou irrité de leurs actes, est générale parmi eux. Le propriétaire d’un grand canot refusa de nous le vendre parce qu’il appartenait l’esprit de son père, qui l’aidait à chasser l’hippopotame.

Il nous est arrivé souvent, depuis le Kafoué jusqu’au Zoungoué, de passer en un même jour près de plusieurs villages. Les habitants de ces bourgades nous envoyaient le soir des députations chargées d’aliments qui nous étaient offerts. « Ils ne pouvaient pas permettre à des étrangers de passer devant leur demeure sans rien prendre. » Il n’est pas rare qu’on nous hèle d’une case : on nous prie d’attendre un instant, et on s’empresse de nous apporter de la bière. Notre voyage ressemble à une marche triomphale ; nous entrons dans