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LE ZAMBÈSE ET SES AFFLUENTS,


PAR DAVID ET CHARLES LIVINGSTONE[1].


1858-1864. — TRADUCTION INÉDITE. — DESSINS INÉDITS.




Les contrastes. — Les musiciens. — Les saisons. — La religion. — L’expédition remonte le Chiré. — Premières relations avec des peuplades inconnues. — Cataractes de Murchison.

En Afrique, les contrastes avec l’Europe sont nombreux.

Les moutons y sont couverts de poils, et la laine y croît sur la tête des hommes.

Les hommes portent souvent leur chevelure dans toute sa longueur, tandis que les femmes sont plus ou moins tondues.

Le sexe faible cultive la terre, fait les semailles et bâtit les cases ; les hommes restent au village, filent le coton, tissent les étoffes, cousent les vêtements, traient les vaches et babillent.

Quand les hommes se marient, ils ne reçoivent rien de leur beau-père, et lui payent une dot.

Les montagnards européens sont hospitaliers, généreux et braves ; ceux d’Afrique sont faibles et lâches, même comparativement aux Africains des plaines.

On soutient dans certaines écoles d’Europe que l’homme descend du singe ; on croit dans certaines parties de l’Afrique que les âmes des morts reviennent s’incarner dans les singes.

La plupart des blancs se figurent que les nègres sont des sauvages ; presque tous les nègres sont persuadés que les blancs sont des cannibales.

Notre Croquemitaine a la peau noire, celui d’Afrique a la peau blanche.

Il nous est vraiment impossible, après tant d’années passées en Afrique, de ne pas rire de toutes les absurdités qu’on a écrites contre l’intelligence des nègres.

Lorsque pour traduire les réponses qu’on attribue aux nègres on emploie des tournures de phrase d’une niaiserie enfantine ; lorsqu’on ajoute des i et des o à chacune de leurs paroles, on fait de la fantaisie et non de la vérité. Les nègres parlent de fort belles langues et n’ont aucun patois. Il est très-peu d’Européens qui connaissent à fond les langues africaines, à moins qu’ils ne les aient apprises dans leur jeunesse.

Quand on interroge les Africains, de manière à s’en faire comprendre, ils vous répondent, soyez-en sûr, avec non moins de bon sens, si ce n’est avec plus de justesse, que ceux de nos compatriotes qui n’ont pas reçu d’éducation.

Pour se figurer que notre intelligence est d’une autre nature que celle des nègres, il faudrait oublier qu’en Europe il fut un temps où nos ancêtres n’étaient pas plus éclairés qu’on ne l’est aujourd’hui en Afrique.

Les mobiles qui font agir les noirs sont, il est vrai, peu élevés ; mais on les retrouve fréquemment chez les valets et même chez les classes supérieures de race blanche. Nous espérons les voir disparaître dans le progrès général qu’amènera la diffusion des vrais principes religieux.

Comme nous revenions de Kébrabasa à Têté, des musiciens indigènes vinrent nous trouver à notre camp, et nous firent entendre leurs airs sauvages, mais non dépourvus de charmes, qu’ils jouaient sur le marimba, instrument composé de baguettes d’un bois très-dur, qui, variant d’épaisseur et de longueur, forment diverses notes, et sont attachées sur des calebasses de différentes dimensions. Nous leur donnâmes quelques morceaux de cotonnade et ils s’en allèrent satisfaits.

Le docteur Kirk divise l’année des bords du Zambèse en trois parties : la saison froide, la saison chaude et la saison pluvieuse ; trois mois d’hiver : mai, juin et juillet ; trois mois d’été : août, septembre et octobre ; et le reste de l’année pour la saison des pluies.

Le Zambèse a deux inondations par an ; la première, qui n’est que partielle, atteint son maximum vers la fin de novembre ou le commencement de janvier ; la seconde, qui est plus considérable, vient après les débordements des rivières de l’intérieur, ainsi qu’il arrive pour le Nil, et ne se produit pas à Têté avant le mois de mars.

En temps ordinaire l’eau du Zambèse est d’une pureté pour ainsi dire absolue, au point que le photographe la trouve presque aussi bonne que de l’eau distillée pour le bain de nitrate d’argent.

La première fois que nous nous rendîmes au Chiré, ce fut en janvier 1859. Une énorme quantité de lentilles d’eau descendait la rivière ; elles proviennent d’un marais situé à l’ouest. En amont de l’endroit où elles arrivent du marais, on n’en voit presque plus.

À notre approche, les indigènes, tous armés d’arcs et de flèches, se réunissaient en grand nombre ; quelques-uns, cachés derrière les arbres, nous suivaient du regard, et, l’arc tendu, paraissaient n’attendre que le moment de nous lancer leurs flèches venimeuses. Toutes les femmes se tenaient à l’écart, et les hommes, qui évidemment nous soupçonnaient de leur être hostiles, se préparaient à repousser notre attaque.

Au village de Tingané, cinq cents guerriers au moins se rassemblèrent, et il nous fut ordonné de faire halte.

Le docteur Livingstone descendit sur la rive ; il leur

  1. Suite. — Voy. page 113.