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d’eux, sont unanimes à les tenir, malgré leur cannibalisme, en plus haute estime que les autres races du Gabon. Ce cannibalisme d’ailleurs est-il chez eux une simple affaire de cruauté ? Cela n’est pas croyable. M. du Chaillu, dans la relation de son voyage chez les Pahouins ou Fans, comme il les appelle avec plus de raison, me paraît avoir singulièrement exagéré cet appétit de la chair humaine. À l’en croire, l’unique village qu’il a visité n’était qu’un vaste charnier. Ce ne sont partout qu’ossements humains et chairs pantelantes. Il a évidemment chargé le tableau. Les officiers français connaissent aujourd’hui beaucoup de villages pahouins, et n’y ont trouvé que rarement des traces d’anthropophagie. Dans ceux qui nous avoisinent, les mangeurs de chair humaine se cachent, non par crainte de notre intervention, qui ne peut pas encore s’imposer, mais par une sorte de pudeur qui les empêche de se livrer à leurs goûts odieux devant des gens qui ne les partagent pas ou même devant leurs enfants. Cette réserve très-remarquable, qu’on a déjà observée chez certaines peuplades de l’océan Pacifique, prouve une fois de plus que le cannibalisme est un fait réellement contre nature, qui a trouvé son excuse première dans la misère, et doit disparaître avec elle, ou du moins ne peut se maintenir que comme exception, sous l’influence de l’exaltation religieuse ou guerrière. Les Pahouins viennent de loin. Leur habileté à la chasse, leur inaptitude absolue à conduire les pirogues, prouvent qu’ils ont toujours habité les hauts plateaux de l’intérieur couverts de forêts, et probablement dépourvus de ressources. Ils en ont rapporté et conservent encore l’habitude de s’abattre sur tout ce qu’ils trouvent. Les serpents, les insectes, les viandes corrompues, rien n’échappe à des appétits obligés de se contenter des rebuts de la nature,


Guerriers pahouins. Dessin de Castelli d’après une photographie de M. Houzé de l’Aulnoit.