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vaient être rendues à la solidité du navire, à la force des mâts, et que l’on aurait bien le temps de prier Dieu à terre. « Nous pouvons remercier Dieu, répondit le pilote, abord aussi bien qu’à terre. — Remerciez la brise et votre habileté nautique, » repartit le capitaine. Il n’avait pas achevé sa phrase, qu’une affreuse tempête s’éleva. Le vent se mit à souffler comme un tourbillon déchaîné ; les vagues, s’élevant à de grandes hauteurs, battaient les flancs du navire comme d’irrésistibles béliers. Vaine fut l’habileté du pilote, vaine la force des mâts et la solidité de la carène. Le navire, jeté sur les écueils fort nombreux en cet endroit, fut brisé et englouti. Le capitaine et tout l’équipage se noyèrent ; le pilote seul échappa, porté sur une planche et déposé sur le rivage par une vague amie. Depuis ce jour, dès qu’une tempête venant du large menace cette partie des côtes du Cornouailles, on entend au fond de la mer le son des cloches du sire de Brotteaux roulant l’une contre l’autre.

« Et voilà, me disait le guide qui me raconta cette histoire, pourquoi il faut mettre toujours sa confiance en Dieu et pourquoi l’église de Boscastle n’a jamais eu de cloche à son clocher. »

Dans la vieille église de Boscastle se trouve une tombe qui recouvre le mari et la femme et dont l’épitaphe mérite d’être rapportée.

« Ils vécurent quarante-neuf ans mariés et, ce qui est plus rare, sans le moindre désaccord. Elle partit la première. Il essaya quelques semaines de vivre sans elle, il ne le put et il mourut. »

J’ai essayé de traduire le plus fidèlement possible les quatre vers anglais : les voici dans toute leur naïve fraîcheur :

 « Forty nine years they lived man and wife,
And, What’s more rare, thus many without strife :
She first departing, he a few weeks tried
To live without her, could not, and so died. »

Tintagel n’est séparé de Boscastle que par une distance de trois milles. C’est aussi un pays de légendes et, dit-on, le lieu de naissance du roi Arthur. S’il faut en croire l’histoire ou la fable, comme on voudra, c’est au château de Tintagel, dont on ne voit plus aujourd’hui que les ruines, que le célèbre roi breton, le brave des braves de son temps, aurait vu la lumière. Je sais bien que cette assertion n’est pas du goût des Gallois qui, à leur tour, réclament Arthur pour un des leurs ; mais je constate un dire en passant, un dire qu’on m’a répété dans le pays de Cornouailles. Maintenant que les Gallois et les Cornishmen s’arrangent, que les bardes, les ovates, les druides, les archi-druides se mettent d’accord entre eux si c’est possible ; comme Pilate, je m’en lave les mains.

Le cap Lizard. — Dessin de Durand-Brager.

Le roi Arthur, que les bardes se sont plu surtout à célébrer dans leurs chants héroïques, est l’Hercule de la vieille Angleterre. Personnage légendaire, je dirai même mythologique, il est resté pour les naïfs Bretons ce que le héros grec était pour les anciens Hellènes. Arthur l’invincible a remporté douze victoires contre les Saxons, comme Hercule a exécuté ses douze travaux contre les génies du mal. L’Hercule breton, avec ses douze pairs, les chevaliers de la Table-Ronde, dont le brave Lancelot (le valet de trèfle de nos cartes) faisait partie, a illustré le Cornouailles de ses exploits. Il est mort au château de Tintagel, « comme si, dit un vieux barde qui l’a chanté, aucune autre place dans la terre spacieuse de Bretagne n’était digne de voir sa fin que celle qui le vit naître. »

 « As though no other place, on Britain’s spacious earth,
Were worthy of his end, but where he had his birth. »

Les Cornishmen s’arment de ce passage pour disputer Arthur aux Gallois. Ceux-ci, à leur tour, leur en opposent un autre et le procès menace de ne jamais finir.