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Il y avait de quoi trembler.

Tout ce bruit s’en est allé en fumée. Par le traité de commerce signé en 1860, et qui favorise si bien l’industrie et la marine marchande anglaise, les deux nations se sont donné la main, et de voisines sont devenues amies. L’application de l’acier aux engins de la guerre a démontré l’inutilité des murs de pierre et de bois, et l’Angleterre en a été pour les millions qu’elle a dépensés en pure perte pour la défense de ses côtes.

Les volontaires, qui ont trouvé bon de jouer au soldat, ont seuls continué leurs attrayants exercices ; laissons-les à cette innocente distraction qui ne peut détruire la paix entre la France et l’Angleterre.


V

LA POINTE DU CORNOUAILLES.


Départ de Penzance. — Mine de Spearn Moor. — Les trésors cachés. — Le dur métier de mineur. — Mine de la Providence. — Le costume officiel. — Le men-engine. — Accident fâcheux. — L’échelle de Jacob. — Travaux intérieurs. — Galeries sous-marines. — Mines du Levant et de Botallack. — Cap Cornouailles. — Cap Land’s-End et cap Lizard. — Les légendes du Cornouailles.

Le lendemain de notre visite à Saint-Yves, nous repartions de Penzance, nous dirigeant vers les mines de Saint-Just. Ce sont les plus curieuses de tout le Cornouailles, et elles devaient marquer la fiu de notre excursion dans le comté. Aux derniers les bons, dit le proverbe.

Nous partîmes avec un brouillard comme l’Angleterre seule en produit. On n’y voyait pas à dix pas, et il fallait s’aider de la voix pour ne pas se perdre les uns les autres. En même temps l’air était frais, plus qu’il ne convient en juillet, et une petite pluie fine, tombant sans discontinuer, vous pénétrait jusqu’aux os. Ce temps dura à peu près tout le jour ; mais comme nous passâmes presque toute la journée sous terre, nous n’en fûmes incommodés qu’un moment.

La première mine où nous arrivâmes est celle de Spearn Moor. On en tire surtout de l’étain. Les ateliers de préparation mécanique autour des puits présentaient une heureuse disposition, et la division du travail, adoptée là comme partout, rendait moins coûteux le prix des opérations. Ici on cassait et triait le minerai ; plus loin il était pulvérisé sous les pilons mécaniques, puis passé aux cribles oscillants, puis lavé sur des tables inclinées en bois qui, retenant les parties les plus lourdes, débarrassaient le minerai de presque toute sa gangue. Des hommes et des femmes étaient employés à ce travail. Les hommes portaient un tablier noué à la ceinture, et sur le chef un bonnet de forme particulière ; les femmes étaient vêtues aussi du tablier, et étaient coiffées soit de la capeline, soit de la résille, celle-ci empruntée à la mode des villes, celle-là à celle des campagnes. Fraîches, jolies pour la plupart et assez bien faites, quelques-unes des jeunes ouvrières affectaient de se chausser de brodequins élégants, tandis que celles d’un sens plus rassis portaient une chaussure plus en harmonie avec leur travail. Tout ce monde était vif, animé, joyeux, chantait à l’ouvrage, et obéissait volontiers à la voix des contre-maîtres qui surveillaient et dirigeaient les opérations.

Nous entrâmes dans la chambre des machines d’extraction où régnaient également l’ordre et la propreté, où tous les ouvriers, chauffeurs et machinistes, attentifs à leurs postes, travaillaient avec plus de calme que les femmes des ateliers voisins. Je levai la tête, et sur un des murs de la salle je lus cette inscription : We seak hidden treasures, « nous cherchons des trésors cachés. » Si jamais le travail des mines a été bien défini, c’est dans ces simples paroles. Cachés en effet et profondément sont les trésors que cherche le mineur. Que de patience, de courage, d’argent, que d’ardeur et de calme à la fois ne faut-il pas aux hardis chercheurs qui vont remuer les entrailles du sol pour en arracher les métaux ! Et pour quelques trouvailles heureuses, pour quelques réussites brillantes, que de déceptions, que de ruines viennent souvent terminer toute une suite de longs efforts, toute une vie de laborieuses recherches ! Je passe sous silence les dangers sans fin qui environnent le mineur. On dirait que tous les éléments se sont à la fois conjurés contre lui : l’air qui souvent lui manque ou devient vicié dans le dédale inextricable où il s’enfonce et circule ; l’eau qui le menace de tous côtés ; la terre qui par des éboulements imprévus l’écrase et le tue ; le feu qui, s’allumant à contre-temps dans le trou de mine, provoque parfois de terribles explosions qui aveuglent et défigurent le mineur. Aussi hardis que les soldats de terre et de mer sont ces obscurs soldats des souterrains, ces pionniers de l’industrie, qui ont non moins de périls à braver, non moins de morts à affronter. Trop souvent le public ignore le mérite de ces rudes travailleurs ; ou si son attention est tout à coup reportée sur eux, c’est quand un accident lamentable vient frapper toute une mine et plonger des centaines de familles dans le deuil. Les périls de tous genres s’accroissent encore quand on passe des mines métalliques aux mines de charbon, où les éboulements et le mauvais air sont plus fréquents, où règnent les gaz explosibles, qui souvent, s’allumant tout à coup, tuent tous les ouvriers à la fois.

À côté de Spearn Moor est la mine de la Providence, un nom des mieux choisis, et sous l’égide duquel nous nous résolûmes à faire une visite dans l’intérieur. Il était temps de payer de notre personne ; jusqu’ici nous avions plus volontiers promené nos regards à la surface et jeté au fond des puits un coup d’œil simplement curieux.

La mine de la Providence n’est pas, du reste, une des moins intéressantes du district de Saint-Just. Elle produit environ trente mille kilogrammes de minerai d’étain par mois, occupe trois cents ouvriers, et est exploitée jusqu’à deux cents mètres au-dessous du niveau de la mer.

« Sous la mer ! direz-vous.

— Oui, sans doute, et vous en aurez bientôt la preuve la plus convaincante. »