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quatre ans. Le phare date de 1757. Il a été bâti par le savant et modeste Smeaton et achevé en deux ans.

Le phare d’Eddystone et le break-water ne font pas seuls la gloire de Plymouth, dont le nom a quelquefois aussi retenti dans l’histoire.

C’est à Plymouth que le Prince Noir, en 1355, après la bataille de Poitiers, débarqua, avec ses prisonniers, le roi Jean et le dauphin de France. C’est là encore qu’en 1815 vint ancrer le Bellérophon, porteur d’un autre prisonnier français, Napoléon.

C’est de Plymouth que sont partis la plupart des grands navigateurs anglais pour leurs découvertes à travers le monde, tels que sir Francis Drake, en 1577, et le capitaine Cook, en 1772-76. C’est à Plymouth que relâcha, en 1620, le fameux navire Fleur-de-Mai (May-Flower), porteur des pèlerins qui allaient fonder les États-Unis. Deux ans auparavant, c’était dans ce port qu’était arrêté sir Walter Raleigh à son retour de la Guyane. Ce fut là enfin que fut assassiné Buckingham au moment où il allait mettre le pied sur le navire qui devait le ramener en France.

Vue générale de Wheal Friehdship (la mine de l’amitié). — Dessin de Durand-Brager.

Nous étions descendus à Plymouth à Royal Hôtel, et mes amis et moi n’avions pas été médiocrement étonnés en voyant l’ameublement de nos chambres. Que l’on se figure un lit à quatre colonnes, énorme, bas, tenant le milieu de l’appartement et munis de tentures aux dessins gothiques, un vrai meuble du moyen âge qu’eût envié l’hôtel de Cluny. À côté du lit un bahut non moins ciselé, également orné de colonnes torses, et sur le bahut une large potiche en porcelaine dont l’usage se laisse aisément deviner. Les chaises étaient du même style que les meubles, fouillées, lourdes, massives. Ce genre d’ameublement que nous allions rencontrer dans presque tout le Cornouailles et le pays de Galles avait de quoi nous surprendre au début. La nuit, je fis un songe de circonstance. Je rêvai au roi Jean et au Prince Noir, et ce songe était bien permis dans cette chambre aux meubles antiques rappelant ceux des vieux castels. La vacuité de messer gaster fut sans doute aussi pour quelque chose dans les étranges hallucinations qui me firent voir en rêve ces anciens et illustres preux, dont je ne me serais jamais attendu à faire ainsi la connaissance. Arrivés tard et l’auberge, on nous avait lancé des cuisines le proverbe si connu des écoles : Tarde venientibus ossa. On nous avait abreuvés de thé et bourrés de sandwichs ; mais ce lest, qui suffit aux Anglo-Saxons habitués à faire par jour cinq et six repas, était léger pour des estomacs gaulois qui ne s’asseyent que deux fois par jour à table. Encore étions-nous presque à jeun ce soir-là, et ce fut peut-être à la faveur de ce jeûne et de ce thé intempestif que m’apparurent le roi Jean et son terrible vainqueur. Mes amis, moins préoccupés